EN COMPAGNIE DE TILDA SWINTON, TOM HIDDLESTON, VU AUPARAVANT CHEZ WOODY ALLEN COMME EN MÉCHANT DE COMICS, RÉINVENTE LES CRÉATURES DE LA NUIT POUR L’ÉPATANT ONLY LOVERS LEFT ALIVE DE JIM JARMUSCH.

Il fallait un cinéaste comme Jim Jarmusch pour imaginer un tel film de vampires, dont le titre déjà, Only Lovers Left Alive, est porteur des plus romantiques des promesses. Devant la caméra de l’auteur de Night on Earth, la mythologie se voit magistralement réinventée, pour se réincarner en un couple d’amants sophistiqués tentant de survivre dans un monde en souffrance. Aux côtés de la divine Tilda Swinton, Tom Hiddleston campe ces Adam et Eve de la marge. Un rôle qui va comme un gant à l’acteur britannique, qui hante la nuit de Detroit avec l’élégance androgyne d’une rock star -évoquant sa première rencontre avec Jim Jarmusch, il explique que ce dernier lui avait présenté le personnage comme « Hamlet interprété par Syd Barrett », ce qui donne, accessoirement, la mesure décalée du projet.

Les 88 touches d’un piano

La trentaine à peine entamée (il est né en 1981 à Westminster), Hiddleston présente un CV appréciable. Sa filmographie aligne ainsi les noms de Woody Allen (Midnight in Paris), Terence Davies (The Deep Blue Sea) et autre Steven Spielberg (War Horse), en plus du dieu Loki, méchant de l’univers Marvel qu’il campe avec aplomb dans les franchises Thor et The Avengers, sans qu’il y ait à y chercher une contradiction: « Chacun des rôles que j’ai interprétés m’a fasciné, explique-t-il. Qu’un personnage soit issu d’un comic book ne signifie pas qu’il ait moins de richesse ou de profondeur. Thor est inspiré de mythes scandinaves remontant à la nuit des temps, et Loki présente de multiples niveaux. En surface, c’est incontestablement un produit plus commercial et de pur divertissement, mais dans la perspective de l’acteur, il s’agit de construire ce personnage et de le rendre réel, ce qui suppose croire en lui et en sa complexité. Même si le terrain de jeu est différent, le travail du comédien ne change pas. Je compare cela aux 88 touches d’un piano: on peut interpréter des morceaux différents, mais les touches restent les mêmes. Un acteur joue avec la condition humaine. »

Mélange de raffinement, de mystère et de glamour sombre, la partition qu’il a composée pour Jarmusch est de celles qui marquent les esprits -toutes choses facilitées, souligne-t-il, par l’environnement créé par un réalisateur pour qui il ne cache pas son admiration: « Ghost Dog, que j’ai découvert à une époque où j’étais habitué à un cinéma beaucoup plus formaté, a vraiment élargi ma conception de ce que pouvait être un film. Depuis, j’ai vu tous ceux qu’il a tournés, et ils comptent tous, sans exception, des moments que j’adore, comme certains passages philosophiques de Dead Man, Roberto Benigni conduisant son taxi avec le prêtre à l’arrière dans Night on Earth, ou encore la conversation entre Cate Blanchett et… Cate Blanchett dans Coffee and Cigarettes: Jim Jarmusch a construit tant de mondes absolument uniques… » Et de s’appesantir, concernant son expérience personnelle, sur l’atmosphère relax et fort excitante à la fois ayant présidé à leurs échanges, expérience inédite durant laquelle il dit encore s’être rarement senti aussi créatif.

Décompte inexorable

Un autre élément ayant, à l’évidence, déteint sur sa prestation, en plus d’avoir ceint le film d’une humeur singulièrement désolée,c’est bien sûr Detroit, ville fantôme et décor choisi par Jarmusch pour situer les évolutions de son couple de vampires ainsi que de quelques zombies rockers: « Ce fut le plaisir caché et inattendu de film, confesse-t-il. En lisant le scénario, je suis tombé amoureux de l’histoire et du personnage, mais Detroit n’était jamais qu’un nom. Une fois que je me suis immergé dans la ville, deux semaines avant de commencer à tourner, j’en suis littéralement tombé amoureux. C’est l’une des villes les plus anciennes en Amérique, où le rêve américain s’est produit avant de la déserter. Detroit était le Manhattan des années 30. Et elle lui ressemble toujours, mais dépeuplée, tout en ayant conservé une âme incroyable -c’est elle qui m’a permis de me connecter avec Adam. » On comprend, en tout cas, à voir Only Lovers Left Alive qu’un tel univers, en suspension, ait pu inspirer le réalisateur, le film étant du pur Jarmusch avant d’être un film de vampires stricto sensu. Si Tom Hiddleston confesse en avoir regardé quelques-uns, histoire de nourrir son imagination, depuis les films de Bela Lugosi jusqu’au Dracula de Coppola, en passant par le premier volet de la saga Twilight « j’y ai vu une allégorie simple et belle de l’adolescence »-, l’acteur n’a pas pour autant envisagé son personnage en termes de folklore vampiresque. « Pour trouver l’âme de cet homme, je me suis plutôt demandé ce que pourrait bien représenter le fait d’être un musicien et un scientifique hyper-sensible, doué d’une intelligence supérieure, un individu mélancolique et romantique, qui se trouve par ailleurs être un vampire. »

De fait, Only Lovers Left Alive se veut aussi métaphore de la marche du monde -en quoi Jim Jarmusch laisse toutefois à chaque spectateur le soin d’y projeter ce que bon lui semble. Invité à en livrer son interprétation, Tom Hiddleston y voit pour sa part un questionnement sur le temps: « Que feriez-vous si, à l’image des vampires, vous disposiez d’un temps infini à vivre? Comment occuperiez-vous ce temps, que seriez-vous enclin à apprendre? Que seriez-vous tenté de créer? Nous nous levons tous, chaque matin, avec un jour en moins inscrit au calendrier de notre existence: le sablier se vide, inexorablement, et nous avons appris à faire le plus de choses possibles dans le laps de temps qui nous est alloué. Les gens ont toujours mille et une choses à faire avant de mourir, mais imaginez-vous de ne jamais devoir mourir? » Vaste question, ouvrant bien large le champ des spéculations…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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