James Blake (le chanteur, pas le tennisman) en a fait son cheval de Troie. Sur son nouvel album, l’Anglais creuse dans la pâte mélodique des silences qui laissent passer l’air, oxygènent le tissu électro-soul dont il habille le corps de son délit ( lire le dossier page 20). On dirait de la dentelle pour les oreilles, les pauses sculptant des paysages cosmiques. Avec sa voix ferreuse et ses bidouillages funambules, le capitaine Blake nous hisse au sommet de la rampe puis nous lâche dans le vide. On plonge dans un néant amniotique où flottent les fantômes des dernières notes. Le disciple de John Cage nous cueille 500 mètres plus bas, ravis et étourdis, en reprenant la phrase musicale comme si de rien n’était… Un pari artistique culotté, à contre-courant du sandwich garni dont on nous gave aujourd’hui les pavillons.

Car si le silence est d’or, sa cote a plongé à la bourse du son. Traqué dans ses moindres replis, le 0 dB est banni de fait d’un monde qui vit dans un bouillon phonique permanent. Quand ce n’est pas la musique qui sue du quotidien par tous les pores, c’est le bruit des machines et le tintamarre des Hommes qui se relayent pour assaillir nos enceintes. La modernité fait du chambard! Plus ça crie, plus ça éructe, plus la bête consumériste ronronne de plaisir. A force, on est devenu accros au vacarme. Cette présence rassure. Le monologue de la télé ou de la radio crée l’illusion d’être entouré, dorloté, bercé. On dilue sa solitude dans le chahut comme d’autres dans l’alcool. Le bruit de fond devient une drogue, un anxiolytique, une béquille. Du coup, on n’arrive plus à retirer la prise, à fermer les écoutilles ne fut-ce qu’un instant. On est devenus… sourds au silence. Trop peur de s’entendre soi-même, d’entrouvrir l’écluse des petites et grandes angoisses, ranc£urs, frustrations qui tapissent notre for intérieur. Au contraire, pour repousser toujours plus profond la vase, il faut augmenter les doses, monter le volume, rajouter des couches au millefeuille électrique, jusqu’à l’overdose. Cette intoxication auditive a un coût. Et pas seulement les acouphènes et les migraines. En zappant le silence, les musiciens se privent d’une voyelle sonore, ils amputent leur alphabet. C’est comme si le blanc était banni de la peinture, la ponctuation de la littérature ou le plan fixe du cinéma. Heureusement, James Blake nous montre le chemin de la rédemption…

Et pendant ce temps-là, c’est toujours silence radio du côté des partis pour la formation d’un gouvernement. Un silence assourdissant pour le coup…

PAR LAURENT RAPHAËL

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