On s’en voudrait de ne pas commencer par une minute de silence à la mémoire de cet acteur caméléon génial, dont la truculence un peu borderline a éclaboussé à plusieurs reprises la pellicule radioactive de Paul Thomas Anderson, de Hard Eight à The Master. Aussi convainquant en baba cool déboussolé (Boogie Nights, encore PT Anderson), en serviteur carpette de millionnaire (The Big Lebowski) qu’en cambrioleur pathétique (le sous-estimé Before the Devil Knows You’re Dead de Sidney Lumet), sans oublier bien sûr l’écrivain habité jusqu’à la folie par son sujet carnassier (Truman Capote), Philip Seymour Hoffman le magnétique laisse un grand vide dans le cinéma américain et mondial. Respect.

Revenons à nos moutons: ce cinéma belge francophone qui est devenu la carte de visite d’une Fédération Wallonie-Bruxelles conquérante, mais ressemble à Janus quand on y regarde de plus près. Selon l’angle de vue, il scintille comme la huitième merveille du monde ou se confond avec un radeau de la méduse sur le point de sombrer dans les profondeurs d’un relatif anonymat duquel un miracle nommé Toto le héros l’a arraché en 1991.

Côté cour, il y a les succès à Cannes, l’estime internationale pour les frères, les produits comiques d’exportation, Damiens et Poelvoorde en tête, et même les Magritte. Quoi qu’on en dise, ils ont rempli leur office en glissant un peu de glamour et d’autocomplaisance dans la marmite. Et si personne ne regarde la -longue- cérémonie en direct, tout le monde en a entendu parler, ce qui est finalement le plus important. Cerise sur le gâteau, l’espoir d’un Oscar pour Ernest et Célestine pourrait venir parachever le travail en grandes pompes.

Côté terrain vague par contre, la vue est nettement moins affriolante. Le nouveau statut d’artiste concocté au fédéral risque de priver de filet de sécurité les techniciens, les jeunes comédiens et les réalisateurs. La plupart ne roulent déjà pas sur l’or. Si on leur supprime la bouée du chômage dans les périodes de creux, ils vont couler à pic ou aller voir ailleurs. Sur le plan artistique, après une année molle qui a obligé l’Académie André Delvaux à booster sa catégorie du meilleur film avec un long métrage d’animation et un documentaire, les affaires devraient reprendre en 2014, mais le bilan économique, lui, reste poussif. Le public boude ces pépites que le monde nous envie (entre 50 000 et 120 000 entrées), là où en France ou en Flandre, la moindre daube battant pavillon régional rameute la grosse foule.

On connaît le refrain: trop social, trop sombre, trop déprimant. De fait, le meilleur de la production autochtone n’est pas très glamour, pas très divertissant au sens ricain du terme. En face, on a pourtant trouvé la recette miracle depuis une dizaine d’années, depuis le triomphe phénoménal de De Zaak Alzheimer, polar nerveux d’Erik Van Looy, pour réaliser des films populaires.

Pourquoi ça ne marche pas ici? On n’a pas la réponse, juste un indice: un trouble identitaire qui fait que le francophone, qui loue l’essentiel de ses références culturelles à son puissant voisin, n’a pas sous la main un arsenal de valeurs propres à célébrer. Comme cet esprit d’aventure ou de conquête qui transcende un Gravity. Et puis, à l’autre bout de la chaîne, il manque aussi ce combustible patriotique qui pousse les Chinois, les Indiens ou les Flamands à honorer leur cinéma, même le plus rugueux, de Rundskop à The Broken Circle Breakdown. Pour s’en sortir, il faut commencer par s’aider soi-même… Les nouveaux Lafosse, Dardenne et Belvaux arrivent. Faisons-leur la fête pour changer!

PAR Laurent Raphaël

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