A travers un volumineux album photo qui s’étale tout au long des murs du Smak, Ed Templeton raconte l’histoire non officielle des marges de ce monde. Magnétique.

Dès l’entrée de l’exposition que lui consacre le Smak à Gand, l’£uvre d’Ed Templeton vient chercher le visiteur par la main et l’emmène dans un long voyage dédié à la subculture. Elle ne le lâchera plus -le voilà prévenu. Même au-delà de la visite. Même le soir quand il posera la tête sur l’oreiller. Les 1200 photographies, les dessins et les sculptures de The Cemetery of Reason dessinent un journal de bord absolument obsédant à travers 15 années de la vie de cet artiste-skateur -ou est-ce l’inverse?

Les images de Templeton s’étirent tout en longueur dès la première arête du premier mur. On s’y accroche comme à une rampe menant d’une salle d’exposition à l’autre, d’un feu d’artifice visuel à un autre. Pas de temps mort, au contraire, que des points culminants qui consistent en d’imposantes compositions -« cluster » en anglais, soit « amas », « touffe » en français- réunies autour d’un thème. Ce qui frappe, c’est l’absence de gratuité et de provocation facile. La plus petite image a un sens.

California dreamin’

Thomas Caron, le curateur, explique la démarche du Californien: « Ed photographie à longueur de temps, il ne se déplace jamais sans son appareil photo. Quand il est chez lui à Orange County, une banlieue de Los Angeles, il se déplace sans cesse en voiture en raison des longues distances. Ces allers et retours sont pour lui l’occasion de jeter un certain regard sur le monde qui est très californien. Par ailleurs, comme il est une légende du skate, il voyage beaucoup dans les autres pays. Ce mouvement incessant lui a fourni une matière considérable. »

Le propos de son travail est dominé par ce que Templeton glane dans son environnement immédiat. Ses amis, sa famille, sa femme -Deanna-, tout cela mais aussi les jeunes qui traînent autour d’une piste de skateboard, l’ennui dans les cités, la pauvreté ordinaire, les fêtes nocturnes, le sexe, les chutes sanglantes… Souvent, c’est l’adolescence et sa quête identitaire qui occupe le devant de la scène. Pièce plus ancienne, Teenage Smokers donne à voir une série d’ados pour qui la cigarette est clairement une béquille à l’affirmation de soi. Les visages racontent l’angoisse et l’agressivité des jours ordinaires.

S’il est à ce point fasciné par cette quête identitaire, c’est que la sienne ne s’est pas effectuée sans accroc. Un tableau de l’exposition le montre la tête maintenue sous l’eau de la baignoire par un père tyrannique. La fêlure est là. Le même père qui a quitté le domicile conjugal avec une baby-sitter de 16 ans. Du coup, Templeton a été élevé par des grands-parents chrétiens fondamentalistes. Pas évident de se sortir des affres d’un discours de type born again christian à l’âge où l’on se cherche. Une magnifique et imposante composition d’images en noir et blanc non encadrées – Faith Fear/Fear Faith– démonte le théâtre de la cruauté qu’incarne pour lui la religion.

Il y a quelque chose à proprement parler d’inépuisable dans les images d’Ed Templeton. Ce sentiment est distillé non seulement par leur profusion et leur mise en scène mais aussi par les commentaires qu’il y inscrit et les touches de couleurs qu’il ajoute. Ce gigantesque fourre-tout -qui emplit l’espace comme un virus- peut se regarder des heures durant. Le spectateur attentif peut même y découvrir des images aussi rares que cultes. Un des « clusters » abrite un portrait de Barry McGee en voiture. La scène pourrait être banale. Elle ne l’est pas. Elle a été prise en 2001 au moment où cette légende du street art acheminait l’urne de Margaret Kilgallen, son épouse décédée d’un cancer, vers le spot de surf Mar Viata en vue d’y répandre ses cendres. Le reste est à l’avenant.

The Cemetery of Reason, Ed Templeton, Smak, Citadelpark, à 9000 Gand. www.smak.be Jusqu’au 13/06.

Texte Michel Verlinden

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