CINQ ANS APRÈS SON DERNIER ALBUM ET LE TUBE JUNGLE DRUM, L’ISLANDAISE REVIENT AVEC TOOKAH, DISQUE LIMPIDE ET LUMINEUX.

« Vous devez me prendre pour une folle! » Et la jeune femme d’éclater d’un grand rire mutin. Emiliana Torrini vient d’expliquer la signification du titre de son dernier album. Ou du moins a tenté de le faire. « Tookah, c’est un peu comme le yin et le yang qui se rencontreraient enfin. C’est un mot qui m’est venu comme ça, alors que je tournais autour de cette idée de plénitude. On a tous une partie de nous qui tend vers le bonheur et une autre qui est attirée par les abysses, le désespoir. Tookah, c’est ce moment où tout se met en place et semble évident. Un peu comme les sufis qui cherchent en permanence cette harmonie. »

Cela faisait cinq ans que l’Islandaise aux racines italiennes n’avait plus sorti de disque. En 2008, Mi and Armini avait notamment été propulsé par le hit Jungle Drum. Elle que l’on disait timide et farouche se retrouva tout à coup emportée dans le tourbillon du show-business. Les deux années de tournée qui ont suivi l’ont laissé vidée, épuisée. « C’était excessif et complètement stupide. J’adore les concerts, mais au bout d’un moment, je n’en pouvais plus. C’était complètement destructeur. Je ne le referai plus. En novembre prochain, j’embarque pour une série de concerts pendant quinze jours. Après, on verra. De toute façon, je n’ai ja-mais gagné énormément d’argent avec la scène -j’emmène trop de gens avec moi (rires). Et puis, il y a quelque chose de plus important aujourd’hui dans ma vie… »

Tube cadeau

En juin 2010, Emiliana Torrini donnait en effet naissance à son fils. Un événement marquant, bouleversant même. Forcément bouleversant. « Une telle expérience vous change. Le contraire est impossible. Je suis forcée de constater que je ne suis plus la même. Pour le meilleur et pour le pire (sourire).« 

Discrète sur son fils, Emiliana Torrini est par contre intarissable sur sa maternité, multipliant les superlatifs. « Vous n’imaginez pas. C’est un truc très primal, animal. Quelque chose qui vient de la nuit des temps. Je me sentais presque comme un dinosaure (rires). La grossesse, les deux ans que j’ai passés à m’occuper de mon enfant, ce sont des moments bénis. J’ai adoré ça. C’est probablement la meilleure chose que j’ai faite. En cela, avoir eu un tube comme Jungle Drum a été une chance, un vrai cadeau: il nous a permis de nous poser -mon enfant, son père et moi- pendant un an, prendre le temps, chez nous, à la maison. Tout le monde devrait pouvoir vivre ça, et ne pas être pressé de retourner aussi vite que possible au boulot. »

Emiliana Torrini transformée en desperate housewife? Le cliché serait tentant si la chanteuse n’avait pas gardé sa discrète fantaisie. Un petit grain de poésie intact. Il faut l’entendre raconter comment elle briefait ses musiciens en studio, plongés dans la fumée et les stroboscopes. « Pour Home, je me voyais perdue dans une forêt sombre, avant que des méduses volantes fluorescentes me guident jusque chez moi » (rires). Le résultat s’intitule donc Tookah, disque habité et lumineux. Pas une lumière aveuglante de plein après-midi, mais bien celle d’un petit matin laiteux, première lueur belle et tranchante, encore pleine d’espoir.

Tookah n’est pas pour autant béat. A l’image de son auteur, il garde quelque chose d’animal, d’instinctif. De psychédélique aussi. Long de 7 minutes, When Fever Breaks sent l’improvisation, le lâcher prise. « C’est le morceau qui a débloqué pas mal de choses. Avec Dan (Carney, producteur, double et guide indispensable de Torrini, ndlr), on a senti à ce moment-là qu’on tenait quelque chose. Nous ne savions pas trop où allait nous mener le voyage, mais au moins, une route s’ouvrait à nous. » Placé en fin de disque, le morceau fait aussi figure d’exception, dans un album qui respire une certaine sérénité, à la fois limpide et savant -Emiliana Torrini n’est pas fan d’Erik Satie pour rien. « Je ne pourrais pas me passer de musique. J’en ai trop besoin. » Ce qui ne veut pas dire que le retour aux affaires a été simple. « Non, c’est vrai. Je pense surtout que je me mettais trop de pression. Après avoir vécu un tel bouleversement, je voulais que les chansons soient à la hauteur. Imaginez ce que mon fils aurait pensé si j’avais sorti un disque pourri? Il se serait senti responsable d’avoir ruiné ma carrière. » (rires) En l’occurrence, le gamin peut être rassuré…

EMILINIA TORRINI, TOOKAH, DISTR. ROUGH TRADE. EN CONCERT LE 13/11, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content