Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

METTRE EN LUMIÈRE, PROTÉGER, VOILER, DÉVOILER… TEL EST LE PROGRAMME DE BÉATRICE BALCOU POUR SON EXPO RIGOUREUSE AUTOUR DE L’oeUVRE DE KAZUKO MIYAMOTO.

Béatrice Balcou – Kazuko Miyamoto

L’ISELP, 31 BOULEVARD DE WATERLOO, À 1000 BRUXELLES. JUSQU’AU 02/07.

8

L’ego est partout. Cette cellule aussi impérialiste que détestable pollue le moindre recoin de ce monde. La création plastique en premier, ce n’est pas un secret. Déjà dans les années 70, époque « L’art est inutile », Ben en faisait le triste constat à travers un syllogisme: « Tout le monde crée pour la gloire/Donc pour apporter du neuf il faut que je change le but de l’art, la satisfaction de l’ego (la gloire)/Même si cette intention est motivée par mon ego (un serpent qui se mangerait la queue). » A l’heure des Hirst, Koons et autres Anish Kapoor, le moi a encore étendu son pouvoir, désormais global. Comment y échapper? La plasticienne française Béatrice Balcou (1976), qui vit et travaille à Bruxelles, livre une piste intéressante pour échapper à cette tyrannie. Sa pratique, subtilement politique, est à rebours des modes de fonctionnement actuels dominés, comme on l’a vu, par l’individualisme mais aussi par la dispersion. Pour ce faire, Balcou « crée des situations dans lesquelles elle invite le spectateur à expérimenter de nouveaux rituels de contemplation autour de l’oeuvre d’un(e) autre artiste« . Pour cette nouvelle exposition à l’Iselp, la jeune femme se penche sur Kazuko Miyamoto (1942), l’une des premières assistantes de Sol LeWitt, également membre fondatrice de la A.I.R. Gallery à New York. La figure choisie, celle d’une assistante, personnalité de l’ombre s’il en est, est révélatrice du projet de Balcou que l’on pourrait résumer de la sorte: réapprendre à voir.

Presque rien

Lorsque l’on pénètre dans la configuration tarabiscotée qui est celle de l’Iselp, on est frappé par la prééminence du vide. Ce n’est pas un hasard, Béatrice Balcou veut « l’attention dans l’attention », elle cherche à ce que le regard du visiteur ne s’éparpille pas. Elle attend également du spectateur qu’il lui donne du temps, raison pour laquelle deux petits tabourets -qu’elle a réalisés elle-même- sont dispersés aux quatre coins de la salle. Pour matérialiser le dialogue entrepris avec Kazuko Miyamoto, Béatrice Balcou a conçu, comme c’est son habitude, des « oeuvres placebos » qui sont des copies en bois d’oeuvres significatives de l’artiste japonaise installée aux Etats-Unis. But de la manoeuvre? L’apprentissage des gestes qui ont donné lieu à la naissance des pièces en question. Ce n’est pas tout: se calquant sur l’esprit des cérémonies de thé nipponnes, la plasticienne française imagine à partir de ces placebos des performances qui portent le nom d’Untitled Ceremony. Au cours de celles-ci, qui sont réservées à un public restreint, il est question d’accompagner le regard des personnes présentes afin de faire émerger une contemplation véritable -on sait combien la chose est difficile. Si elle « expose » au sens propre du terme, Béatrice Balcou sait également comment attiser le regard et garder le désir intact. Elle le fait en laissant certaines oeuvres cachées -partiellement ou totalement- tout au long de l’exposition. Ainsi d’un carton dissimulé derrière un pan de mur. Le petit feuillet qui accompagne l’exposition signale l’affaire non sans malice: « A group of artworks wrapped and gathered that are not exhibited but could have been ». Si l’on était plasticien, on rêverait de voir border son oeuvre par tant de délicatesse.

WWW.ISELP.BE

MICHEL VERLINDEN

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content