DANS « NOUVEAU DÉPART », DE CAMERON CROWE, MATT DAMON SE RÉINVENTE EN ACHETANT… UN ZOO. ET EN PROFITE POUR DONNER UN TOUR INÉDIT À SON PARCOURS, SUIVEZ LE GUIDE…

L’air de rien, voilà quinze ans déjà que le cinéma lui a esquissé, malgré lui pour ainsi dire, un destin de wonder boy -à savoir depuis le jour où le scénario de Good Will Hunting de Gus Van Sant, co-écrit avec son pote Ben Affleck, guère plus connu à l’époque, et assorti du premier rôle du film, lui ouvrit bien grandes les portes d’une renommée qu’il taquinait avec de plus en plus d’insistance. Entamé comme un conte de fées, le flirt de Matt Damon avec les sommets s’est ensuite poursuivi avec une constance qui ne laisse d’impressionner. Steven Spielberg, Robert Redford, George Clooney, Terry Gilliam, Martin Scorsese, les frères Coen, Clint Eastwood, sans oublier Steven Soderbergh et Gus Van Sant à diverses reprises: la liste des réalisateurs ayant recouru à ses services ressemble à un best of du cinéma américain contemporain, à quoi l’acteur a su ajouter le rôle à même d’asseoir définitivement sa popularité, un Jason Bourne à qui il a prêté ses traits à trois reprises, se reprofilant au passage héros de film d’action.

Rien de cela, cependant, dans We Bought a Zoo, le film de Cameron Crowe qui le ramène sur les écrans quelques mois après le Contagion de son ami Soderbergh. Matt Damon y apparaît sous un jour différent, en effet: confronté à la mort de sa femme, l’homme de décision(s) a laissé la place à un concentré d’indécision, l’action se faisant pour sa part transaction, celle qui le conduit, un jour, à se porter acquéreur… d’un zoo, point de départ d’une reconstruction personnelle en appelant d’autres. Le scénario a beau être inspiré d’une histoire vraie, on a connu pitch moins improbable -ce dont l’acteur, que l’on retrouve décontracté et pas star pour un sou dans un palace dominant Central Park, est d’ailleurs le premier à convenir: « Il pourrait très bien y avoir une version de ce film qui suive le même scénario, et qui se révèle absolument irregardable, le faisant ressembler à une production Disney à l’eau de rose. » La différence entre un aimable nanar des familles et un film résolument fréquentable tient parfois à peu de choses; en la circonstance, il s’agit toutefois d’un élément aussi cardinal que la personnalité de son réalisateur.

Derrière We Bought a Zoo, on retrouve Cameron Crowe, cinéaste dont l’étoile a certes quelque peu pâli depuis le flop de Elizabethtown, mais qui n’en reste pas moins l’un des auteurs les plus attachants du cinéma hollywoodien; de ceux dont les films respirent aussi au rythme de leur pers- onnalité. Afin d’emporter l’adhésion de Matt Damon, Crowe lui a fait parvenir le scénario assorti du Local Hero de Bill Forsyth et d’une sélection musicale de son cru -rien d’anodin, si l’on se souvient qu’il est aussi l’auteur de l’impeccable Almost Famous. « Les trois éléments constituaient un tout, et cela s’est révélé une aide considérable, confie le comédien. Cameron m’a donné cette musique pour me rassurer, en un sens, afin de me faire partager l’humeur qu’il voulait conférer au film. J’ai donc écouté Neil Young, Eddie Vedder, Cat Stevens, ce type de musique, avant de lire le scénario, parce que cela évoquait le sentiment qu’il recherchait, et qu’il voulait que l’on éprouve en sortant de la projection. » Méthode appliquée jusque pendant le tournage même, où le réalisateur passait les chansons correspondant à ses yeux à une scène particulière – « il y avait là une tonalité dans laquelle nous pouvions puiser », explique encore Matt Damon.

Une expérience cathartique

Dû pour l’essentiel à Jonsi, mais se baladant encore du côté de Echo and the Bunnymen ou Wilco, le soundtrack de We Bought a Zoo n’est certes pas étranger à l’humeur singulière et au charme dispensés par le film, qui conjugue encore, en une progression feutrée, mélancolie diffuse et optimisme viscéral. Plus que de la naïveté, on y verra une forme de profession de foi, qui a achevé d’emporter l’adhésion de l’acteur. « Ce qui m’a convaincu, c’est que Cameron m’a dit vouloir insuffler de la joie dans le monde, poursuit-il. C’est la façon dont il m’a décrit le film, et j’ai trouvé que ce serait judicieux et utile à l’heure actuelle. C’est un film joyeux, et cela correspond à Cameron. J’ai revu Jerry Maguire l’autre jour, et on y trouve ce même sentiment, qui est propre à son cinéma. J’avais littéralement des larmes qui me coulaient sur les joues, mais j’éprouvais aussi une émotion incroyablement heureuse. Ces films ressemblent à des expériences cathartiques, dont l’on retire une forme de joie. » Autant dire que le film tombe à son heure, en effet, feelgood movie pour temps de crise, et déclinaison légère d’une aspiration à une nouvelle vie largement répandue: « Quelle que soit l’époque, je pense que ce type de film est nécessaire, martèle encore Damon. Mais aujourd’hui plus que jamais, alors que nous traversons une période particulièrement dure pour la plupart des gens. »

S’agissant de Damon, ce Nouveau départ (en version française) pourrait aussi indiquer une volonté d’infléchir sa carrière dans une nouvelle direction -postulat d’autant plus tentant qu’on le sait, désormais, « libéré » de la franchise Bourne. « Oui. Il est clair que cela ne ressemblait à aucun rôle que j’avais pu jouer jusqu’alors, et que cela correspondait parfaitement au stade où j’en suis dans l’existence aujourd’hui. Je n’aurais pas pu jouer un tel personnage il y a dix ans, parce que je n’aurais pas vraiment compris ce qu’il traversait. C’était le moment approprié pour pouvoir jouer le rôle d’un père passant par ce genre d’épreuve avec ses enfants, et comprendre le sentiment de perte qu’il éprouvait. »

Soit une orientation inédite, assortie d’une confirmation, celle voulant qu’il y ait en lui un acteur caméléon -quoi de plus naturel, du reste, pour un film dont l’essentiel de l’action se passe dans un zoo: « Je choisis mes rôles en fonction des réalisateurs. Et les bons réalisateurs ne veulent pas vous voir reproduire quelque chose que vous avez déjà fait. A l’exception des franchises, comme les Bourne ou la série des Ocean’s , je ne veux pas revenir à un rôle que j’ai déjà tenu, pour la simple raison que je ne veux pas me laisser piéger, et me retrouver à jouer toujours la même chose. La vie risquerait de se révéler fort ennuyeuse. » On en est loin, cependant, avec, dans sa ligne de mire, Elysium de Neill Blomkamp (le réalisateur de District 9) et Promised Land, le film qui consacrera ses retrouvailles avec Gus Van Sant dix ans après Gerry, et dont Damon a écrit le scénario avec John Krasinski: « C’est l’histoire d’un voyageur de commerce qui se rend dans une petite ville, et qui est transformé par cette ville comme elle l’est par lui. » Vous avez dit nouveau départ? l

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À NEW YORK

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