« C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes. » Si l’adage n’est pas à prendre au pied de la lettre (la preuve avec le dernier album en pilotage automatique de U2…), il semble tenir lieu de boussole pour les petits et grands artisans de la culture. Après avoir été traités le plus souvent comme des parasites, des encombrants, voire des rebuts, les vieux -pardon, les seniors- ont aujourd’hui la cote.

Pas une semaine sans un film, un roman, une réédition musicale ou une BD qui ne fasse la nique au jeunisme. Surfant sur cette vague vermeil, des managers avisés réaniment même des projets enterrés depuis belle lurette -pour cause d’ego dilaté ou de gros sous. C’est le cas avec cette série de concerts du trio autoproclamé de vieilles canailles Dutronc-Hallyday-Mitchell. Loin de faire la tournée des homes de Normandie, la dream team des années… 60 s’offre Paris Bercy plusieurs soirs de suite, avec diffusion simultanée dans les cinémas en bonus. C’est Gainsbarre qui doit se marrer là-haut…

Gourmands, les aînés infiltrent tous les genres, de la comédie (Canailles Connection et Last Vegas au cinéma, le best-seller déjanté Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire au rayon littérature) au drame (Amour de Haneke ou plus récemment Still the Water de Kawase) en passant par le film d’action (la bande de gros bras de Expendables), le musical (de I Feel Good à Song for Marion) et même le film pour enfants (Step Up des studios Disney Pixar). Ce qui est neuf, outre la quantité de fictions s’abreuvant à cette fontaine de jouvence, c’est la réappropriation intensive des codes standards. Les questions liées à la vieillesse, telles que la maladie, la mémoire, l’absence, la mort, infusent bien sûr certaines oeuvres qui se portent spécifiquement au chevet du grand âge, mais la palette émotionnelle ne se limite plus à ce seul chapitre qui, pour avoir accouché de chefs-d’oeuvre (Poetry est gravé dans le marbre de notre mémoire), n’en éclaire pas moins que le versant le plus sombre de la pyramide des âges. Avec ce nouveau souffle, le spectre s’ouvre aussi à l’humour, à la dérision ou à la légèreté.

Une déferlante de tempes grises et de brushings laqués qui en dit long à la fois sur le pouvoir de persuasion de la création et sur l’instabilité de la météo du cool. On ferait un sondage aujourd’hui sur les doyens de la population qu’ils apparaîtraient moins irascibles, moins déconnectés et aigris qu’il y a 20 ou 30 ans. Essentiellement grâce à cette représentation plus flatteuse. De même que l’envie de vivre ne s’arrête pas à 60 ans (le sujet de Party Girl, justement), les illusions ne se diluent pas uniformément dans une mare d’aigreur et de nostalgie à l’approche du tocsin comme nous l’a chanté Brel. Les papys et les mamys perdent peut-être leurs dents mais pas leur humour, leurs désirs, leurs rêves ou leur libido. Mieux, ils ont pour eux d’être revenus de tout ou à peu près. La BD Les Vieux Fourneaux de Lupano et Cauuet exploite à merveille ce filon du contre-emploi avec sa triplette de septuagénaires anars en goguette.

S’il est encore un peu tôt pour jeter aux poubelles de l’Histoire le jeunisme forcené, cette prolifération marque une étape vers un rééquilibrage plus proche de la réalité. Qui doit autant à la force du nombre qu’à des considérations plus souterraines. Comme le fait que les baby-boomers, qui ont largement modelé les contours de notre société du spectacle, rejoignent à présent les rangs canoniques. Et n’entendent pas lâcher le morceau pour autant. Clint Eastwood illustre bien ce mouvement générationnel, lui dont la filmo ressasse les mêmes thèmes de prédilection, mais assaisonnés différemment à chaque étape de sa vie, jusqu’à ce Gran Torino où il incarne un homme mûr et usé retrouvant la niaque (et un peu d’humanité) pour botter le derrière à une bande de durs qui tyrannise le quartier.

Quitte à vieillir, autant le faire avec panache…

PAR Laurent Raphaël

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