CORPS COMMUN, UNE EXPOSITION SUR LE SITE DES ANCIENS ABATTOIRS DE MONS, INTERROGE LA NOTION DE COLLECTIF HIER ET AUJOURD’HUI. S’IL EST ACQUIS QUE LE « JE » EST UNE ILLUSION, QU’EN EST-IL DU « NOUS » ARTISTIQUE? RÉPONSE SUR LES DIFFÉRENTS FRONTS DE LA CULTURE.

Au lendemain de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement du communisme, on nous avait promis la fin de l’Histoire, Francis Fukuyama en tête, chapardant le concept à Hegel. Plus de conflit idéologique entre les hommes, ceux-ci vibrant à l’unisson d’un consensus universel forgé dans le néo-libéralisme. Faites confiance au marché, il s’occupe de tout, jusqu’à fabriquer le consentement. Plus de 20 ans après, l’hypothèse a, pour le moins, du plomb dans l’aile. La crise est passée par là. Du coup, ils sont nombreux à avoir remisé le confort du quant-à-soi par devers eux: Indignados de la Puerta del Sol, hacktivistes d’Anonymous ou contestataires d’Occupy Wall Street. Les observateurs politiques n’en croient pas leurs yeux, à l’heure du « sujet étanche » et de l' »individualisme triomphant », des citoyens se réveillent pour faire advenir des valeurs que l’on croyait définitivement révolues.

Ce qui advient à la société s’applique tôt ou tard à la superstructure que constitue l’art. La fin de l’Histoire et le règne de l’individualisme débridé a fourni ses figures de proue à la création: Jeff Koons, Takashi Murakami ou Damien Hirst, trio emblématique qui a tiré avec beaucoup de cynisme et d’adresse les ficelles du marché. Il ne fait aucun doute que depuis l’avènement des années 2000, un nouveau profil d’artistes voit le jour qui n’hésite pas à associer ses énergies. En Belgique, impossible de ne pas évoquer Hell’O Monsters, collectif composé par Jérôme Meynen, François Dieltiens et Antoine Detaille. Révélateur d’un nouvel esprit, ce trio imagine avec une rare facilité, en transcendant les individualités, un univers étrange peuplé de créatures hybrides. Ces freaks colorés témoignent de l’effroi suscité par le monde adulte et, plus largement, par la société du chacun pour soi. On songe aussi au collectif Fla Gel qui, depuis 2009, se réapproprie la place Flagey lorsqu’il neige. Avec des balais et des pelles, les cinq protagonistes signent à chaque fois un dessin monumental accompagné d’un jeu de mots: « Poisse Flagey », « Place Fléchée » mais surtout le très révélateur « Place Fâchée » prolongé par le croquis d’un mégaphone.

Ensemble, c’est tout

Pour Adrien Grimmeau, l’un des trois curateurs de l’exposition Corps Commun à Mons, il n’y a aucun doute: « le collectif revient sur le devant de la scène artistique« . Raison pour laquelle il en a fait la notion-clé de l’évènement montois. « Après Dehors, l’exposition sur le graffiti à Bruxelles, j’ai été sollicité par Xavier Roland, le responsable du Pôle muséal de la Ville de Mons. Il était hors de question de refaire une énième exposition sur l’art urbain. J’ai donc réfléchi à une matière première pour laquelle je pourrais me mobiliser pendant de longs mois car c’est ce que nécessite un tel projet… En fouillant le passé artistique de la ville et les forces qui traversent la création aujourd’hui, j’ai opté pour cette idée de « collectif », explique Grimmeau. Pas question pour autant de faire une encyclopédie des collectifs en Belgique. « J’ai accepté la mission à condition de pouvoir mettre sur pied un commissariat… collectif. J’ai demandé à Laurent Courtens de l’Iselp et à Obêtre, un artiste urbain en phase avec la réalité de terrain, de penser ce show avec moi. Dans le même temps, nous avons accueilli quatre figures de la scène actuelle -Akim, Jeroen Jongeleen (Influenza), Mathieu Tremblin et… Obêtre qui intervient également comme artiste- en résidence pendant un mois pour créer de façon artificielle et temporaire un collectif. Plus qu’un verbiage sur l’horizon commun, nous avons voulu prendre le pouls d’un collectif à l’oeuvre. Comment des artistes peuvent-ils encore faire corps commun aujourd’hui? Telle est la question que nous voulions poser« , précise l’homme par qui tout a commencé.

L’exposition trace un parallèle entre aujourd’hui et l’après-Mai 68, période faste pour le collectif. « Nous avons trouvé à Mons les traces de trois collectifs qui ont sévi entre 1968 et 1977, soit Cuesmes 68, Carré d’art et Maka. Cette comparaison nous a permis de comprendre à quel point cette notion a évolué au fil du temps. Avant, il y avait une cohérence qui était assurée par un programme clair, alors qu’actuellement le collectif a glissé vers le « connectif », tel que l’a évoqué Michel Serres dans Temps des crises. Aujourd’hui, les collectifs se forgent à l’échelle internationale, sur des bases mouvantes et aléatoires. Ils se réunissent le temps d’un évènement ponctuel dans un endroit qui n’est celui d’aucun d’entre eux. Il s’agit de rassembler une pensée plurielle plutôt que de créer une pensée unique« , souligne Laurent Courtens.

En ce sens, la scénographie de Corps commun résume parfaitement les enjeux de ce sujet. « Dans les Anciens Abattoirs, les visiteurs pourront entrer dans trois boîtes qui les plongeront dans le passé de la notion de collectif, celui qui a partie liée à Cuesmes 68, Carré d’art et Maka. Les artistes issus de la scène actuelle, quant à eux, ont refusé de se laisser enfermer. Ils exposeront à l’extérieur, au pied d’un terril, les traces des interventions de réappropriation urbaine qu’ils ont menées pendant leur mois de résidence« , conclut Laurent Courtens.

CORPS COMMUN COLLECTIFS D’ARTISTES – 2 GÉNÉRATIONS 1968-2013, ANCIENS ABATTOIRS, PLACE DE LA GRANDE PÊCHERIE, À 7000 MONS. DU 13/04 AU 14/07. WWW.BAM.MONS.BE

TEXTE MICHEL VERLINDEN

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