Drôle de tendresse

À quoi ressemble votre vie quand vous avez seize ans à East Village, Canada ( » petite ville pas de ce monde« , fictive) dans les années 70 et que vous appartenez à une communauté mennonite? À une longue suite d’interdits (à commencer par le cinéma, l’alcool, le tabac, le rock’n’roll, le maquillage et la fréquentation des grandes villes) et à la fatalité inexorable de devoir un jour décapiter des poulets à Happy Family Farms. C’est l’amer constat que fait Nomi Nickels, qui vit seule avec son père, Ray. Depuis le départ précipité de sa soeur et de sa mère -femmes trop fantasques et libres pour le carcan étroit fixé par Hans, l’oncle pasteur-, tous deux sont des  » îlots de chagrin« . L’adolescente au ton mordant, autrefois inquiète de la possible damnation éternelle de sa famille, compose désormais comme elle peut, observe ce qui coince dans ce mode de vie aliénant et philosophe avec son petit ami Travis. Par-delà sa mélancolie, elle rêve elle aussi d’un horizon plus grand et ses élucubrations prennent parfois la forme fantasmée d’une tournée avec Lou Reed. Jusqu’où peut-elle repousser les limites de cette vie où elle se fane? Drôle de tendresse s’inspire fortement de la jeunesse de Miriam Toews à Steinbach, Manitoba. Dans le même registre loufoque, réflexif et grinçant que La Fille de Tupelo Hassman -mais avec encore davantage de finesse d’observation- ce roman d’apprentissage singulier nous met aux prises avec une héroïne tenace et attachante, inoubliable dans ses tensions intérieures.

De Miriam Toews, éditions Buchet-Chastel, traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, 304 pages.

8

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content