DÉBARQUÉ TOUT GAMIN DE SÃO PAULO À BRUXELLES, RENATO BACCARAT PROPOSE AVEC UTZ UNE HYPNOSE BRÉSILIENNE SOUS DÉCRYPTAGE EUROPÉEN. FINESSE ET TROPICALISME CUEILLENT L’HEUREUX GRAND ÉCART ENTRE DEUX CONTINENTS.

„J’aime l’idée que la musique brésilienne soit anthropophage, qu’elle digère plein d’influences, toute la richesse de la bossa, puis de la génération Caetano Veloso/Gilberto Gil, d’artistes comme Lenine et plus récemment, des nouveaux chanteurs d’un certain métissage à la Cicero ou Ava Rocha, la fille de Glauber Rocha. » Le cinéaste Rocha (1939-1981), un peu maudit, un peu génial, est l’un des noms qui planent sur une quête sans doute vaine: tenter de boucler le portrait d’un Brésilien de Bruxelles en écumant la culture de son pays-continent, 278,9 fois la Belgique. Comment rétrécit-on l’immensité d’un tel ADN dans un simple album titré Todo Mundo é Feio (Tout le monde est moche)? Renato et son groupe UTZ (« une onomatopée équivalente à « Oh la vache » ») fournissent plusieurs réponses musicales, cajoleuses, sans exclure la disonnance acoustique à l’air libre et cuivres volontiers tortueux. « Il y a quelque chose de faussement simple dans ces musiques. Bigger Boat par exemple est en séquences de cinq mesures alors qu’on est formaté pour en écouter quatre« , dit-il en citant Burt Bacharach comme autre maître influent du multipiste.

Le deuxième disque d’UTZ fait partie des sucres lents qui touchent au métabolisme sans faire d’esclandre, une homéopathie des sentiments vulnérables. Tudo Parado, le premier single, raconte une rencontre amoureuse: le clip libère le personnage masculin, dessin prisonnier de son cadre, pour qu’il rejoigne de l’autre côté de la pièce la fille rêvée, elle aussi calée sous verre. Mix fin d’animation et de réel, la vidéo a le charme désarmé de l’enfance ramené aux cruautés de l’âge adulte. « Il faut aller vers l’autre, ce réflexe que l’on perd dans le tram, au milieu de dix personnes sur leur GSM. Tudo Parado (Tout est arrêté) vise ce moment précieux et figé où l’on tombe amoureux. Je viens d’une famille où nos parents nous ont élevés en disant qu’ils nous aimaient. C’est dingue quand je vois tous ces gens ayant grandi sans qu’on leur montre de l’amour. »

Subversif

Né le 12 novembre 1972, Renato vient donc de São Paulo. Le sang familial est italien, espagnol, portugais et même un peu français avec ce médecin venu étudier les médications amazoniennes « il y a au moins cinq générations ». Sa mère, d’une famille aisée, est secrétaire de direction, son père, trompettiste-compositeur. « Je suis né au moment où la dictature des militaires était réglée, mais la situation politique restait toujours compliquée. Mes parents avaient eu des ennuis parce que la police avait découvert chez nous un bouquin titré La Révolution du caractère, et en avait conclu que mon père était subversif. Quand il a été contacté par des musiciens brésiliens pour venir jouer en Belgique, il a trouvé que c’était un beau cadeau à faire à mon jeune frère et moi. » Après huit mois à Barcelone, la famille rejoint le père à Paris, base de ses incessantes tournées européennes: « Mes parents étaient un peu hippies: quand ma mère a décidé de rester en France avec mon père et nous, ils ont tout laissé derrière eux à Barcelone. Et puis mon père est tombé amoureux de Bruxelles où les gens lui disaient bonjour dans la rue: il disait que la ville était tellement douce que les escalators s’y arrêtent lorsqu’il n’y a plus personne dessus. »

Dans des conditions parfois précaires, le petit Renato Baccarat-Ilhosa découvre la Belgique. Le cursus météo y est moyen mais l’Europe fournit au futur chanteur « un prisme pour pouvoir décrypter mes sentiments ». Cela donne les premiers fantasmes de devenir dessinateur et des études aux Beaux-Arts de Bruxelles. Métier d’illustrateur que Renato pratique toujours comme celui de web designer, « job alimentaire qui me plaît beaucoup ». Aujourd’hui, il habite une arrière-maison charmante du bas de Saint-Gilles avec, à mi-temps, ses deux enfants ados.

« J’ai visité Rio pour la première fois l’été dernier, cela faisait une vingtaine d’années que je n’étais plus allé au Brésil. J’y suis parti un mois avec mes enfants et mes parents, qui sont restés vivre à Bruxelles, et y ai ensuite séjourné un mois seul. » L’occasion de retourner au coeur du réacteur des musiques qui comptent pour lui. Comme celle de Tom Zé, cet incroyable mec né en 1936 dans l’Etat de Bahia, qui accompagne le mouvement tropicaliste de la fin des années 60, noué entre désirs d’avant-garde et reconnaissance populaire. Renato: « Je l’aime autant parce qu’il incarne avec brio l’humour et la folie du contre-pouvoir nécessaire que peut représenter l’artiste. » Si Renato ne se sent « ni politisé ni engagé« , ses chansons posent les songes d’un quadra qui parle en fables d’une société « de plus en plus rigide et barricadée. On ne se rend pas forcément compte de notre privilège. Au Brésil, même si depuis dix ans et le pouvoir de Lula puis de Dilma Rousseff, le pays n’est plus sur la carte de la faim selon l’ONU, la télévision projette toujours via les telenovelas quelque chose d’hyperconservateur, d’abrutissant et de crade. »

Tout cela percole dans l’album, mais de façon transversale, les morceaux obliques jouant aux contes pour grands enfants. « Dans Tanto Esforço,je parle d’objets parce qu’on ne se rend plus vraiment compte de ce qui est en permanence autour de nous. » Ces nuances qui font la différence. L’instant infinitésimal de vies trop ou mal remplies.

TODO MUNDO É FEIO DISTRIBUÉ PAR XANGO MUSIC. LE 25/02 À L’ESPACE SENGHOR À BRUXELLES, LE 01/03 AU BONNEFOOI ET D’AUTRES DATES SUR WWW.MUTZIK.COM

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