I Know This Much Is True: le double jeu de Mark Ruffalo dans une remarquable série

Un acteur pour deux rôles, Mark Ruffalo au sommet de son art. © HBO
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

En cours de diffusion sur Be tv, I Know This Much Is True, la remarquable mini-série de Derek Cianfrance, voit Mark Ruffalo se dédoubler en jumeaux aux destinées tragiques inextricablement mêlées.

Dans le long plan-séquence suffocant qui clôture le premier épisode de l’épatante mini-série HBO adaptée par Derek Cianfrance (Blue Valentine, The Place Beyond the Pines) du roman éponyme de Wally Lamb, Mark Ruffalo, déchaîné, tente de soustraire… Mark Ruffalo à l’emprise des gardiens d’un hôpital psychiatrique de haute sécurité. C’est, semble-t-il, la grande affaire du show: dans I Know This Much Is True, le comédien tout-terrain (Spotlight, Avengers) interprète les deux frères jumeaux autour desquels se noyaute l’ensemble de son scénario. Raccord avec l’esprit de la série, c’est-à-dire émotionnellement « chargée » (euphémisme…), cette scène emblématique ne pourrait être qu’impressionnante ou bluffante, mais ce n’est pas ce qui se passe ici: jamais démonstratif, tape-à-l’oeil ou inutilement virtuose, ce délicat moment de basculement dramatique vise la justesse et l’authenticité. À tel point qu’on en oublierait presque qu’il s’agit là d’un seul et même acteur, dédoublé par la magie de l’incrustation.

À l’écran, Mark Ruffalo est donc à la fois Thomas et Dominick Birdsey, deux frères jumeaux quasiment identiques nés à six minutes d’intervalle mais pas la même année, l’un ayant pointé son nez un 31 décembre à 23h57 et l’autre un 1er janvier à 00h03. À bien des égards, le premier, gros nounours borderline rongé par une schizophrénie paranoïde, est le fardeau de l’autre, peintre en bâtiment divorcé au karma pour le moins douteux. Et leurs existences croisées évoquent à plus d’un titre l’image d’un douloureux chemin de croix…

Deux visages, deux figures

Facilité aujourd’hui par les avancées numériques, ce dispositif de dédoublement fraternel d’un acteur à l’écran est de plus en plus répandu. On pense bien évidemment à la jeune Lindsay Lohan dans The Parent Trap de Nancy Meyers, à Nicolas Cage dans Adaptation de Spike Jonze, à Armie Hammer dans The Social Network de David Fincher ou, plus récemment encore, à James Franco dans la série The Deuce. Parmi d’autres. L’exercice reste particulièrement périlleux, néanmoins. À parfaite ressemblance physique -et pour cause…-, la tentation est parfois grande, en effet, d’appuyer les différences d’humeur et de caractère, avec tout ce que cela peut alors supposer de cabotinage outré et d’excès grimaçants. À ce double jeu funambule, Mark Ruffalo se révèle magistral de retenue et de nuances. Maître de ses gestes et de ses dégaines, de ses regards et de ses intonations, il offre à la série une admirable épaisseur humaine de chaque côté du miroir, en redoublant l’intensité dramatique jusque dans ses plus infimes détails. Loin du piège à mimiques transformistes, l’acteur américain est tout simplement ici, à bientôt 53 ans, au sommet de son art.

I Know This Much Is True: le double jeu de Mark Ruffalo dans une remarquable série
© HBO

Quant à Derek Cianfrance, on l’a dit, remarquable de maturité et d’intelligence dans sa capacité à faire constamment cohabiter à l’écran espaces physique et mental par la grâce de sa seule mise en scène, il n’emmène jamais le procédé sur le terrain miné de l’épate facile. Si on fait les comptes, au fond, sur les six épisodes (d’une bonne heure chacun) que compte I Know This Much Is True, peu de plans rassemblent les deux jumeaux, et ceux-ci se touchent rarement à l’intérieur du cadre -à cet égard, la scène d’embrassade fébrile du troisième épisode fait quasiment figure d’exception. Concrètement, le tournage s’est déroulé en deux temps bien distincts. Ruffalo a d’abord mis en boîte toutes les séquences concernant Dominick avant de revenir, au terme d’un break long de six semaines, jouer la partition de Thomas, avec quelques bons kilos de plus mais un minimum de trucages et de prothèses.

Hantée par la question des origines, d’un fatum aux allures d’écrasante fatalité, la série suggère plus d’une fois la piste de destins maudits, abâtardis par une infortune quasiment vaudoue digne des plus cruelles tragédies antiques. Impression renforcée par un Ruffalo impérial, donc, en Janus aux deux visages, semblables et pourtant bien distincts, reliés par le malheur, la maladie et la mort. Du chagrin à la pitié se dessine un subtil entrelacs de non-dits lourds de conséquences, de secrets de famille tapis dans l’ombre qui agissent à la manière de chaînes invisibles semblant invariablement condamner les individus à toucher le fond. Mais à l’instar de son titre aux certitudes tronquées, c’est avant tout l’idée d’une vérité en partie fuyante, qui rechigne à délivrer toutes ses clés de compréhension, que choisit à l’arrivée brillamment de défendre I Know This Much Is True. Quand le sort s’acharne sur les hommes, il faut voir aussi comment ceux-ci l’interprètent et ce qu’ils en font. Déterminisme génétique ou libre arbitre individuel: ce sont les deux faces d’une même pièce, celle où se joue le petit théâtre de l’existence, qu’incarnent ici les deux visages blessés de Mark Ruffalo.

I Know This Much Is True. Une mini-série HBO en six épisodes créée par Derek Cianfrance. Avec Mark Ruffalo, Kathryn Hahn, Rosie O’Donnell. Diffusion chaque jeudi soir sur Be 1. ****

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