Alors que son deuxième album, Life is sweet! Nice to meet you, déboule dans les bacs, Devonté Hynes nous parle de sa synesthésie. en clair, Le Lightspeed Champion est atteint d’audition colorée.

J’ai une amie scientifique qui travaille à la Rockefeller University et qui étudie mon cas. Apparemment, mon cerveau réagit en permanence comme si j’étais sous acides. » Chanteur et guitariste des feus Test Icicles, Devonté Hynes, plus connu sous le nom de Light-speed Champion, résume sa perception atypique de la vie. Hynes est atteint de synesthésie. Un phénomène neurologique, trouble de la perception, qui consiste en la manifestation d’une double sensation sous l’influence d’une seule stimulation. Le synesthète perçoit, en plus de la sensation normale, une sensation secondaire au niveau d’une autre partie du corps ou d’un autre domaine sensoriel. Pour simplifier grossièrement, le synesthète, selon son cas, peut voir des sons, toucher des goûts, entendre des couleurs…

Devonté est frappé d’une synesthésie synoptique aussi appelée audition colorée.  » Si vous pouvez imaginer que le moindre son, le moindre bruit soit visible, vous avez une petite idée de ce que je ressens. Je vois des formes, des couleurs, des spirales, des motifs. C’est vraiment une sensation étrange. Difficile à décrire parce qu’elle me semble quelque part naturelle. J’y suis en permanence confronté et je m’y suis habitué. Je ne m’imagine plus maintenant vivre et ressentir les choses autrement. »

A ce que le Lightspeed Champion s’en souvienne, tout a commencé quand il regarda, gamin, The Rocky Horror Picture Show pour la première fois. Un assaut brutal…  » Enfant, ma s£ur jouait du piano et je préférais certaines chansons à d’autres parce qu’elles étaient plus jolies à mes yeux dans le sens premier du terme« , rigole-t-il aujourd’hui.

Hynes a pris conscience de sa différence plus tard, à l’adolescence, mais a vite estimé qu’il valait mieux la taire.  » Dans un premier temps, je ne trouvais pas ça bizarre, reconnaît-il. Je pensais que c’était logique. Que tout le monde ressentait et voyait les mêmes choses que moi. Ensuite, j’ai réalisé qu’on risquait de me prendre pour un dingo…  » Souvent perçue comme la normalité, voire, plus tard, un atout, par ceux qui en souffrent, la synesthésie, encore méconnue, peut vite être considérée comme une maladie, une étrangeté…

Du trouble sensoriel au concept intellectuel

Alors la synesthésie, avantage ou inconvénient? Ni manifestement l’un, ni clairement l’autre. La synesthésie peut transformer un livre en une succession de taches de couleurs qui écartent du sens véritable des mots comme aider à résoudre des problèmes mathématiques. Certains nombres se fondant mentalement l’un dans l’autre pour donner une couleur qui est celle de la réponse. Elle peut aussi aider à se souvenir de mots, de notes de musique ou de prénoms. Si le synesthète, par exemple, se souvient que cette belle fille croisée dans un bus avait un goût d’eau légèrement mentholée, d’un bleu turquoise presque opaque, alors elle ne peut s’appeler que Nathalie…

Bon, ça vous semble sans doute dingue et on se perd un peu. En attendant, le mot synesthésie est utilisé plus souvent qu’à son tour dans le domaine artistique. Que ce soit à travers la poésie et ses métaphores ou pour parler des applications multimédias telles que les odorama et les sons et lumières. Il convient cependant de distinguer la synesthésie comme concept intellectuel utilisé par des « malades imaginaires » comme Rimbaud et Baudelaire et les artistes qui « souffrent » réellement de ce trouble sensoriel. La liste est longue. De Duke Ellington à David Thomas (Père Ubu) en passant par David Hockney.

Si la synesthésie frappe théoriquement quelque 4 % de la population, selon Charles Spence, professeur de psychologie expérimentale à l’université d’Oxford,  » nous sommes tous à des échelles diverses des synesthètes« .  » Est-ce qu’on devient artiste parce qu’on est synesthète ou est-ce qu’on redevient (ou reste) synesthète parce qu’on est artiste?, interroge Régine Kolinsky, directrice de l’UNESCOG, unité de recherche en neurosciences cognitives de l’ULB. Certains partent du principe que tous les nourrissons le sont mais il faut savoir que les connexions neurologiques peu ou pas utilisées par l’individu sont éliminées. »

 » J’aime même Mariah Carey »

 » La synesthésie me distrait en permanence. J’ai vraiment beaucoup de mal à me concentrer. Ne serait-ce que pour tenir une simple conversation « , reconnaît Devonté Hynes qui, de fait, semble par moments ailleurs. L’apprentissage de la musique a néanmoins été plus évident pour lui que pour le commun des mortels. Il a étudié le violoncelle gamin mais se considère avant tout comme un autodidacte.  » J’ai appris beaucoup d’instruments tout seul. Juste en reliant les notes à des couleurs et en les retenant. C’est avant tout une question de mémoire. Certains instruments sont plus faciles à apprendre que d’autres. Comme le piano. Sans doute parce que nous voyons toutes les touches. Dans le même ordre d’idée, la batterie me semble plus aisée que la guitare. Et si je me sens meilleur guitariste que batteur, c’est parce que j’ai passé beaucoup de temps à gratter. »

La synesthésie influe évidemment sur le processus créatif. La manière de travailler seul et avec les autres.  » Je n’écris pas les chansons comme tout le monde avec un instrument. Que ce soit une guitare ou une trompette. Je les écris dans ma tête. Et quand je me retrouve en studio pour enregistrer, je dois m’installer un quart d’heure devant le piano pour trouver mes repères. » La synesthésie va jusqu’à influencer ses goûts.  » Je me passionne pour tous les types de musique. Je ne vois pas le côté esthétique. Je n’entends que l’aspect musical. Tout me semble intéressant. J’aime même le dernier morceau de Mariah Carey. » Heureusement, ça ne s’entend pas sur son nouvel album.

Texte Julien Broquet

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