AVEC THE GREEN HORNET, FILM DE STUDIO AU BUDGET MAOUSSE DÉDIÉ AUX AVENTURES DU FRELON VERT, MICHEL GONDRY SIGNE SON OUVRE LA MOINS PERSONNELLE À CE JOUR. SANS, TOUTEFOIS, DILUER TOTALEMENT SA SINGULARITÉ DANS LE GRAND BAIN HOLLYWOODIEN. PAS FOLLE, LA GUÊPE…

Il est de ces touche-à-tout capables d’exceller dans chaque domaine qu’ils investissent. Au sein du groupe Oui Oui, Michel Gondry se fend ainsi, dès le mitan des années 80, d’une ravigotante pop ludique tranchant radicalement avec la cold wave ambiante. Loin de se cantonner derrière ses fûts, il s’essaie à quelques réjouissantes expérimentations d’ordre audiovisuel. Pour des clips déjà marqués du sceau d’une inventivité, faite de bric et de broc, qui caractérisera bientôt l’ensemble d’une £uvre épousant les contours d’un gloubi-boulga merveilleusement digeste, pour le coup. Repéré par Björk, commence alors pour lui une carrière de vidéo-clipeur au talent quasi sans équivalent, qu’il promènera de Daho en Rolling Stones, de Jean-François Coen en White Stripes, de IAM en Kylie Minogue. Qu’il réalise des pubs, pour Air France notamment, ou touche au video art, impossible de ne pas identifier instantanément la patte de ce Méliès des temps modernes, jamais avare en trouvailles visuelles et autres effets bluffants. Le système D érigé en… véritable système, en quelque sorte. Logique, somme toute, s’agissant de quelqu’un capable de solutionner un Rubik’s Cube en 10 secondes avec son nez (Mots-clés YouTube: Gondry Rubiks Nose) et qui, enfant, rêvait de devenir inventeur. Ainsi, quand les frères Wachowski travaillent sur Matrix, c’est dans sa pub pour Smirnoff (!), qu’ils vont chercher l’idée de leur fameux « bullet time ». Un exemple perdu parmi tant d’autres.

Passé lui-même à la réalisation pour le cinéma, il n’en trouve pas moins les élans de drôlerie et d’émotion à même de faire les grands films. Allant jusqu’à tutoyer les sommets d’inspiration dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, non sans négliger pour autant les astuces bricolées qui caractérisent depuis toujours l’auteur, par ailleurs, de Human Nature et La Science des Rêves -voir notamment l’invention du « sweding » pour Be Kind Rewind. Catapulté aujourd’hui à la réalisation de The Green Hornet, l’un des plus gros blockbusters US de ce début 2011, le Versaillais se voit fort logiquement contraint de faire des concessions, au risque d’y perdre son identité. Et sa singularité de ployer, mais pas de rompre. Exit les bidouillages chers au docteur Gondry? Parole à l’intéressé.

Dans quelle mesure étiez-vous familier du personnage du Frelon Vert?

Je suis devenu familier du personnage à force d’en entendre parler. Le Frelon Vert, en somme, c’est un peu le petit frère boîteux de Batman -alors qu’en réalité, il est plutôt le grand frère, puisqu’à l’origine il s’agit d’une des premières séries radio de super-héros. Le personnage s’avère assez singulier dans son genre: il n’a pas de super pouvoirs et, en définitive, n’a pas tellement l’ambition de sauver le monde. Peu à peu, j’ai commencé à vraiment m’y intéresser. J’ai réécouté de nombreux épisodes de la série radio des années 30. Vous savez, quand j’étais jeune, j’étais absolument fan de Blake et Mortimer -comme de Spirou et du Marsupilami, d’ailleurs. J’avais des disques de dramatisation de la série, comme celui de La Marque Jaune, et j’adorais vraiment ça. D’une certaine manière, j’ai toujours eu envie de mettre ces disques en images. Le feuilleton radio du Frelon Vert m’a ramené vers ça, m’a replongé dans ma jeunesse.

Qu’en est-il de l’origine de votre implication dans le film?

J’avais été contacté dès 1996, par Universal à l’époque. Et puis c’est passé entre plein de mains: celles de Kevin Smith, notamment, puis, plus tard, de Stephen Chow, que j’apprécie énormément mais qui n’est pas du tout habitué à faire des concessions et qui ne s’est pas entendu avec Seth Rogen et Evan Goldberg, les producteurs et scénaristes du film. Au bout du compte, ça a à nouveau atterri chez moi, à ma grande surprise.

S’agissant de concessions, justement… Seth Rogen étant le scénariste, producteur et interprète principal d’un film qui lui-même est un blockbuster, quelle place restait-il pour votre créativité?

Je reconnais que ça n’a pas toujours été facile de travailler avec Seth. Avec toutes ses casquettes, j’avais un peu le sentiment d’être pris en sandwich. Mais disons qu’il compense largement cette dimension par sa bonne humeur et son absence d’ego. En parlant d’ego, c’est vrai que pour travailler sur un film de studio comme celui-là, il a fallu que je mette un petit peu le mien dans ma poche. Je n’avais pas vraiment le pouvoir, il s’agissait plutôt d’un travail de collaboration. Mais ça s’est bien passé.

En conséquence, The Green Hornet se présente clairement comme votre film le moins personnel, le moins marqué par votre griffe…

Evidemment. Vous savez, il s’agit d’un film qui a coûté pas loin de 150 millions de dollars et qui poursuit une logique de rentabilité, est appelé à plaire à une large audience. Toutes considérations auxquelles je me suis peu intéressé jusqu’à présent. Le studio, Seth, pour leur part, étudient les projections, regardent les chiffres, écoutent les sons des gens qui rigolent à chaque ligne de dialogue… C’est vrai que je n’ai jamais réfléchi en ces termes mais en même temps ça m’intéresse. J’y vois un intérêt quasi anthropologique, quelque part. Je me suis donc prêté au jeu. Ceci étant dit, il restait des zones d’incertitude qui font que j’ai tout de même réussi à faire passer des choses personnelles. En ce sens, même si la patte, la griffe dont vous parlez, est moins présente, je pense que mon esprit se retrouve plus dans les personnages, leur absence de prétention, leur humanité, leurs défauts. Là-dessus j’aurais été intransigeant. Je n’aurais pas travaillé sur ce projet s’il n’y avait pas eu cette ouverture sur des personnages proches de gens ordinaires.

Selon toute logique, le film ne fait pas l’impasse sur l’option 3D. Dans quel sens avez-vous travaillé sur cet aspect?

Il s’agit d’une 3D assez immersive. On ne voulait pas non plus donner envie aux gens de vomir mais comme je travaille avec un montage assez lent, finalement, par rapport à ce type de film d’action, avec une profondeur de champ et des perspectives assez marquées, ça convenait parfaitement. Certains gags et éléments de décors ont spécifiquement été conçus en fonction de la 3D. La séquence finale dans l’imprimerie, par exemple, est démentielle en 3D, parce qu’il y a là une profondeur inouïe. On a joué au maximum là-dessus. Comme dans ce premier plan où apparaît la voiture, avant sa transformation: j’ai demandé aux techniciens d’augmenter l’effet 3D en même temps qu’on s’approche du véhicule pour reproduire en quelque sorte cet effet hitchcockien imaginé pour Vertigo, quand la caméra s’avance physiquement mais que le zoom induit en même temps un mouvement de recul pour procurer une sensation de vertige. J’ai vraiment voulu utiliser la 3D comme un élément créatif qui apporte une plus-value artistique. Le film fonctionne en 2D mais c’est réellement une autre expérience en 3D.

Au-delà de votre implication aujourd’hui dans le cinéma, vous demeurez ce qu’on appelle un touche-à-tout. C’est une nécessité pour vous de sauter d’une chose à l’autre comme vous le faites?

C’est-à-dire que les choses se présentent à moi de manière assez chaotique, sans calcul. Quoi qu’il en soit, que je dirige un épisode de Flight of the Conchords, réalise un documentaire sur ma tante (L’épine dans le c£ur , ndlr) ou filme un concert organisé par Dave Chappelle, j’y vois un intérêt équivalent. Peu importe le budget, le box office, que sais-je encore, j’ai toujours les mêmes angoisses quand je travaille, j’en retire les mêmes satisfactions ou déceptions. Je pense que chaque projet me fait évoluer.

ENTRETIEN NICOLAS CLÉMENT

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