DEUX JOURS, UNE NUIT CONSACRE LA CINQUIÈME COLLABORATION ENTRE LES FRÈRES DARDENNE ET FABRIZIO RONGIONE. DE RIQUET À MANU, RETOUR SUR LEUR HISTOIRE.

Deux jours, une nuit, c’est aussi l’histoire d’un couple, refusant de se laisser emporter dans la tourmente. Entre Sandra et Manu, Marion Cotillard et Fabrizio Rongione, il y a comme une évidence, que quelques plans suffisent à exprimer. « Pour nous, Manu a toujours été Fabrizio, explique Jean-Pierre Dardenne. Il y a sans doute plusieurs raisons à cela, la première étant que c’est quelqu’un avec qui on aime bien travailler. Et puis, chaque comédien arrivant avec quelque chose qu’il ne peut pas faire complètement disparaître, même s’il prend en charge l’existence de quelqu’un qui n’existe pas, il nous a semblé que Fabrizio pouvait emmener cette sympathie, cette empathie, cette attention à Sandra, simplement parce qu’il était là, lui. » Au vrai, et si l’acteur a pu, entre-temps, incarner des salauds, la tentation est grande de faire le lien entre Manu et Riquet, le personnage que campait Fabrizio Rongione dans Rosetta, son premier rôle au cinéma: « Je me suis rendu compte qu’il y avait une similitude dans leur côté désintéressé, approuve le comédien, mais je ne m’en suis pas vraiment préoccupé, parce que j’ai changé depuis quinze ans. A l’époque de Rosetta, je n’étais vraiment pas sûr de moi, et je me suis laissé guider par les frères. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus maître de mon instrument et, en ce sens, j’avais beaucoup plus conscience de ce que je faisais sur ce film. »

Un travail de peu de mots

Ayant tourné avec les Dardenne à cinq reprises -il y eut encore L’Enfant, Le Silence de Lorna et Le Gamin au vélo-, Fabrizio Rongione fait, pour ainsi dire, partie des meubles. Et de s’attarder sur une méthode de travail dont il confie qu’elle n’a finalement guère évolué avec le temps: « Les frères te donnent le scénario, tu dis s’il te plaît ou pas, et ensuite viennent les répétitions, qui sont essentielles. Avec eux, je ne parle jamais de mes personnages. C’est un travail de peu de mots, vraiment artisanal. On répète beaucoup: toutes les scènes sont répétées avant le film, et encore le matin, puis on multiplie les prises. Le faire est plus important que le parler, et cela me convient assez bien: j’aime essayer plutôt que parler, et les frères vont toujours te dire « essayons », à la première personne du pluriel, leur travail a une dimension communautaire. » Evoque-t-on le spectre d’une possible routine, à force, qu’il soupèse la question –« Je me la suis posée, évidemment. Je ne fais pas ce métier pour faire toujours la même chose », souligne un acteur d’ailleurs passé maître dans l’art de se soustraire aux étiquettes, lui qui évolue entre diverses cinématographies, quand il ne se produit pas dans des one man show, ou encore sur la scène… des Magritte. « Mais en fait, ce n’est pas possible de dire non aux frères, surtout moi, pour qui l’histoire est primordiale dans mes choix. Quand tu lis un de leurs scénarios, c’est un cadeau. La grandeur des frères, c’est de questionner perpétuellement l’humanité, ce que c’est, être humain. C’est fondamental, et du coup, les considérations de tomber dans la routine deviennent totalement secondaires. »

Du scénario de Deux jours, une nuit, il précise qu’il est, à ses yeux, leur meilleur –« c’est la première fois que je me suis permis de leur faire un commentaire à ce sujet »-, louant notamment une simplicité ayant permis de libérer une plus grande émotion. Quant à Manu, son personnage, il observe, à raison, qu’il constitue « la charpente » de Sandra. Pour le construire, Fabrizio Rongione a regardé autour de lui: « J’ai des oncles, des cousins à ma mère, qui sont comme ça. Des hommes à l’ancienne. Ils sont en couple avec leur femme depuis 40 ans, ce ne sont pas les plus tendres ni ceux qui expriment le plus leurs sentiments, mais en même temps, ils sont toujours là, et surtout dans les coups durs. Je n’ai pas pensé intellectuellement à cela, mais je m’en suis inspiré au niveau du corps: j’ai senti que je prenais de l’épaisseur. »

Quant à l’alchimie illuminant sa relation avec Marion Cotillard, il évoque le cours naturel des choses, ayant bien vite balayé quelque appréhension qu’il ait pu nourrir. « Sur le plateau, il y avait quelque chose d’assez évident… Avec les frères, c’est plus facile pour moi, on se connaît. Et avec Marion, il y avait une alchimie, le terme est assez bien choisi. C’est comme dans la vie: tu sens, ou tu ne sens pas les personnes. Et ici, il y avait quelque chose. » Le résultat crève d’ailleurs l’écran, leur solidarité préfigurant celle que Sandra va tenter d’éveiller chez les autres, en une perspective d’une rare acuité. Le « Haut les coeurs!« martelé à un moment tiendrait ainsi également lieu de leitmotiv du film. « Tout à fait!, opine l’acteur. Je suis heureux de tourner avec les frères, et je n’aurais jamais assez de mots pour dire à quel point je leur dois tout. Ma carrière peut s’arrêter demain, j’aurai l’impression d’avoir contribué à quelque chose. Je suis heureux parce qu’ils m’ont donné de jouer des personnages qui sont l’Homme, avec un grand H, quels que soient les personnages, même quand ils étaient dégueulasses ou mauvais. »

J.F.PL.

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