Alice Cooper, entretien avec un vampire: « Le côté glam du rock me manque »

Quand Alice Cooper célèbre la capitale de l'industrie automobile américaine et du hard rock. © Jenny Risher
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Toujours fringant du haut de ses 73 ans, le théâtral Vincent Furnier dédie son nouvel album, Detroit Stories, à sa ville natale. La première à avoir consacré son alter ego Alice Cooper. Rencontre.

Il est devant sa caméra, en Arizona, tout de noir vêtu mais sans mascara. Cool, érudit et bavard comme dans Wayne’s World. Vincent Furnier (son père, pasteur, prétendait être un descendant de La Fayette) a inventé avec Alice Cooper, sa guillotine, sa chaise électrique et son boa, un rock provocateur, théâtral, grand- guignolesque qui aime le classic rock, le glam, le boucan et le faux sang. Sans lui, pas de Kiss, de Marilyn Manson, de Slipknot ou de Rammstein. Entretien avec un vampire…

Pourquoi avoir décidé de consacrer un disque à Détroit?

On voulait fabriquer un album de hard rock guidé par ses guitares. Et sa capitale en Amérique, c’est Détroit. Je suis né dans cette ville. Je l’ai quittée quand j’avais dix ans. J’avais de l’asthme et on s’était éloigné de son climat hostile. C’est aussi là que la carrière d’Alice Cooper a décollé. C’est une coïncidence mais on a enregistré ce nouvel album qui tourne autour de Motor City l’année du cinquantième anniversaire de Love It to Death, le premier disque qu’on y a fabriqué. Bref. On a décidé d’écrire les chansons là-bas, de n’utiliser que des musiciens de la ville. Parce qu’ils sont encore tous là ces formidables guitaristes et batteurs. Johnny Bee de Mitch Ryder & The Detroit Wheels, Wayne Kramer du MC5, Mark Farner de Grand Funk Railroad. Ça a été très facile. Ces mecs peuvent tout te faire en deux prises.

Vous étiez encore en contact?

Le rock’n’roll est une grande famille. Tu sais qui a pris sa pension. Qui est encore sur le circuit. Qui est encore bon dans ce qu’il fait. Wayne, par exemple, est meilleur guitariste qu’il ne l’a jamais été. En plus, lui, c’est vraiment, le Détroit de la rue. Tu ne peux pas faire plus Détroit que Wayne Kramer. Il a été un White Panther. Très politisé. Il a été en prison. C’est un vrai. Un survivant.

Detroit Stories, c’est aussi un tas de clins d’oeil plus ou moins discrets. Comme une reprise de Rock’n’roll du Velvet Underground.

J’ai habité en même temps que Lou Reed au Chelsea Hotel. C’était un ami et je me suis dit qu’il ne se vexerait pas si je changeais un peu ses paroles. Dans sa version originale, la chanson a ce côté très seventies heroin chic new-yorkais (il chante d’une voix monotone). J’ai voulu la faire déménager et lâcher les chevaux. C’est la même chanson mais en bien plus énergique. Ce qui est amusant, c’est que Lou a embauché mon producteur Bob Ezrin sur Berlin et Rock’n’roll Animal après avoir entendu une reprise de Rock’n’roll qu’il avait produite pour Mitch Ryder & The Detroit Wheels. Puis j’ai bossé avec Dick Wagner et Steve Hunter, les musiciens que Lou a utilisés sur ces deux disques. Ces mecs étaient les meilleurs mais aussi des gens super. J’essaie toujours de m’entourer des plus doués mais aussi de mecs qui s’entendent bien. Comme ça, pas d’ego, de discussion sans fin et de prises de bec inutiles. Avec mon groupe de tournée mais aussi les Hollywood Vampires. Le projet qu’on a monté avec Johnny Depp et Joe Perry (Aerosmith). On ne s’est jamais disputé en sept ans. Pas une seule fois… Tout le monde prend du plaisir à se retrouver.

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Quel souvenir gardes-tu du Détroit des années 70?

Justement. Ce qui est génial avec cette ville, c’est que tout le monde dans le milieu de la musique s’y entendait bien. Les Stooges, le MC5, Bob Seger, Ted Nugent, Suzi Quatro… On jouait sur les mêmes scènes et on faisait la fête ensemble presque tous les soirs. On était des groupes locaux à l’époque. Uniquement connus dans le Michigan. Il n’y était pas non plus question de couleur de peau. Les mecs de la Motown venaient nous voir. On montait sur scène et on apercevait Smokey Robinson, deux des Temptations et Stevie Wonder dans le public. Ils venaient à nos concerts pour l’énergie. C’était quand même puissant. Et nous aussi, on allait voir les leurs. À Détroit, personne n’y trouvait quoi que ce soit à redire. Les Blancs et les Noirs s’unissaient autour de la musique. Même pendant les émeutes de 1977, si tu avais des longs cheveux et jouais dans un groupe, tu pouvais rentrer dans n’importe quel bar black downtown, tu n’étais pas considéré comme l’ennemi. On était frères. L’important c’était la qualité de ce que tu faisais.

Pourquoi Détroit était-elle le temple du hard rock?

Los Angeles était très sophistiqué et avait les Doors. Sexy et habiles. Les Doors étaient géniaux. On a longtemps assuré leurs premières parties. San Francisco était dans le psychédélique. Il avait le Grateful Dead, Jefferson Airplane. New York était également très élaboré avec les Young Rascals. Ce genre de trucs. Mais Détroit, c’était l’Amérique moyenne. L’Amérique industrielle. C’était là qu’on fabriquait les voitures. Les gens allaient bosser et ils avaient ces machines super bruyantes pendant toute la journée dans les oreilles. Je pense qu’ils voulaient que les groupes fassent autant de boucan que l’usine. Les gens à Détroit ne voulaient pas de soft rock. Ils voulaient du dur. De l’agressif. Une attitude. Des groupes à l’image de leurs bagnoles. Avec un gros moteur sous le capot. On s’y est senti à la maison. Ce qui n’était définitivement pas le cas à Los Angeles ou ailleurs. Quand on a débarqué, je n’avais jamais entendu parler d’Iggy and The Stooges. Je ne savais pas qui était le MC5. Dès que je les ai vus, j’ai compris. On faisait la même chose. La même musique. C’était pas des trucs de hippies. On a vécu là-bas entre 1969 et 1971. Puis la chanson I’m Eighteen a explosé en dehors du Midwest. Et là, on est devenus un groupe national. On avait une grande maison au milieu de nulle part où on pouvait être aussi bruyants qu’on le voulait. Bob Ezrin est en quelque sorte devenu notre George Martin. Ce que Martin a réalisé avec les Beatles, Bob l’a fait avec nous. Il nous a permis de trouver une identité.

Comment la ville a-t-elle évolué?

Pendant longtemps, Détroit a été le sujet de toutes les moqueries. Je me souviens d’un film dans lequel ils torturaient un espion. Ils lui faisaient les pires trucs. Le mec flanchait pas. Et puis quelqu’un disait: « Amenez-le à Détroit« . « Non, non. Pas Détroit. Je vais tout vous dire… » C’était ça la ville. Une blague. La capitale du meurtre et de la came aux États-Unis. Un maire de Détroit s’est fait choper en train de fumer du crack. Et il a été réélu. T’imagines? Ça te donne une idée de ce que c’était. C’est toujours rock’n’roll mais aujourd’hui, tout le monde peut se promener downtown. Détroit ressemble à toutes les grandes villes.

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Tu te souviens de ta première rencontre avec Iggy?

Bien sûr. On jouait dans un festival. Comme je te disais, on n’avait jamais entendu parler d’eux. Quand on a débarqué, le MC5 était sur scène. C’était un fameux bazar. Et juste derrière, tu as Iggy qui arrive avec ses Stooges. Je me suis demandé: mais qu’est-ce que c’est que ça? Je n’avais jamais vu un mec pareil. C’était une espèce de croisement entre Mick Jagger et un contorsionniste. La musique était basique. Trois accords. Mais Iggy descendait déjà dans le public. Marchait sur les mains des gens couvert de beurre de cacahuète. Je me suis dit waouh. On est monté sur scène ensuite avec notre théâtralité. Et le public a adoré. On n’était pas là pour le rendre heureux. On était là pour lui retourner la tête. Quand ils ont compris que j’étais né à Détroit, je suis devenu l’enfant chéri et on a emménagé là-bas. C’était des soirées folles. On n’était pas vraiment dans la came à cette époque. On était plus dans la picole. Ce n’était pas Los Angeles où tout le monde était sous acide. À L.A., certains flippaient tellement quand on montait sur scène qu’ils se cassaient en courant.

Détroit, c’est aussi le magazine Creem et Lester Bangs…

Tout à fait. Et ce qui les intéressait, c’était la musique. La politique était là à cause du MC5 qui essayait de faire légaliser la marijuana. Mais Creem était un vrai magazine musical. Notamment grâce à Lester Bangs, il s’intéressait à ce qui se passait, aux jeunes groupes qui arrivaient. Les stations de radio aussi étaient géniales. Les planètes s’alignaient. Et c’est ce dont tu as besoin pour qu’un groupe émerge.

Le rock est de moins en moins théâtral.

Le dernier type de rock théâtral, ça doit être le heavy metal. Là, tu as encore beaucoup d’image, d’attitude. J’aimais bien les années 80 avec Guns N’ Roses, Mötley Crüe et compagnie. Ils avaient une identité. Quand tu les voyais en rue, tu savais tout de suite qui c’était. Les clips étaient forts. Les chansons géniales. C’est ça que doit être le rock’n’roll. Quand je vois les jeunes groupes d’aujourd’hui, j’ai envie de leur demander pourquoi ils veulent être comme tout le monde. C’en est presque fainéant. « Nan. On veut juste ressembler à tous ces gens au supermarché. » Mais ce n’est pas comme ça que tu deviens une star. Il faut qu’on te reconnaisse. Le côté glam du rock me manque.

Pourquoi a-t-il disparu?

C’est une question de cycle. Chaque génération se rebelle contre la précédente. Pour le moment, tu as toutes ces divas qui font leur show en mode Las Vegas. Lady Gaga et Shakira ont l’air rock’n’roll. Mais les autres… Je pense que les jeunes vont réagir à un moment. Qu’ils demanderont le retour de leurs groupes de rock hors la loi. Pendant qu’on discute, il y a des gamins de seize ans dans leur garage qui jouent des chansons d’Aerosmith et qui apprennent à utiliser leurs instruments sur des morceaux de Motörhead. Je pense que cette génération va bousculer les choses. La hausse considérable des ventes de vinyles est un bon signe. Et elle n’est pas due qu’aux vieux. Les jeunes veulent à nouveau écouter des albums. Les mettre sur leurs tourne-disques. Puis aussi voir un bon live.

Vincent Furnier pied au plancher.
Vincent Furnier pied au plancher.© Jenny Risher

Il est très compliqué aujourd’hui de choquer les gens.

C’est même impossible. Ça fait longtemps que je ne dépends plus du scandale. Ça marchait dans les années 70. Mon show a toujours été excitant et théâtral. Mais le coup de la guillotine est devenu une tradition. Les gens veulent la voir. Comme la camisole et la chaise électrique… Ils attendent ça d’Alice Cooper. Un Rob Zombie est davantage dans le show vidéo. Mais on n’essaie plus de choquer le public. Ce n’est plus possible avec Internet et ce que tu peux y voir…

De quelle manière le cinéma a-t-il influencé la construction d’Alice Cooper?

Il a été fondamental. Bien sûr, on aimait les vieux films d’horreur comme Dracula et Frankenstein. C’était génial. Alice est une espèce de vampire, une sorte de Capitaine Crochet. Il est un tas de méchants incarnés en une seule et même personne. Mais on était aussi profondément marqués par la coolitude de West Side Story (il claque des doigts en entonnant le générique) et par James Bond. Personne ne s’en rendait compte avant de se dire: mais c’est le riff de John Barry pour 007. On a joué avec tout ça. On était cinématographiques. On avait grandi avec ces films, avec la télévision. Donc, on les a laissés entrer dans l’univers d’Alice Cooper.

2020 a quand même ressemblé à un mauvais film d’horreur.

Personne ne peut vraiment décrire 2020. Je pense que 2020 va devenir un adjectif. Quand quelqu’un te demandera ce qui s’est passé avec ta voiture ou ta petite amie? Tu diras qu’elle a été « 2020tisée ». En gros que ça a mal tourné. C’est tellement inimaginable ce qui nous est arrivé. Quel événement peut faire fermer boutique au monde entier? Ce n’était jamais arrivé sur la planète. Ça restera sans doute l’année la plus unique de tous les temps. 2021 a l’air de nous offrir de meilleures perspectives. Là où j’habite, à Phoenix, ils vaccinent 10.000 personnes par jour. J’ai déjà eu droit à ma première injection. Je suis un optimiste. Je pense que le monde va se réanimer dans les six prochains mois.

Avec le recul, le cinéma de John Carpenter -tu as joué dans Prince of Darkness– semble prémonitoire. Mais on pourrait en dire autant d’une chanson comme Elected

Oui, tu as ce truc I’m your yankee doodle dandy in a gold Rolls Royce… À l’époque, on parlait de tous les politiciens. On généralisait et s’en amusait. Je suis apolitique à l’extrême. Cette chanson est avant tout un tribute aux Who avec des accords à la Pete Townshend. C’était ça l’idée mais c’est devenu un hit. Parce que Nixon a été élu. Tout le monde détestait Nixon. Plus encore que Trump d’ailleurs. C’est marrant que ce soit devenu une satire. Les gens se sont mis à penser que je tournais politique. Mais non, s’il vous plaît, je me moque juste des politiciens. Je ne veux rien avoir à faire avec tout ça.

Alice Cooper – « Detroit Stories »

Distribué par earMUSIC/V2. ***

Alice Cooper, entretien avec un vampire:

Enrobant son six titres The Breadcrumbs sorti en septembre 2019 (il avait même embauché Mick Collins des Dirtbombs pour le coup), c’est un album entier que Vincent Damon Furnier consacre à sa chère ville de Détroit. Free town, Motown, My Town… Mis à part l’intervention de Joe Bonamassa sur Rock’n’Roll (reprise du Velvet approuvée par Laurie Anderson), tout est ici garanti Motor City. Sister Anne du MC5, East Side Story de Bob Seger… La guitare de Wayne Kramer, le groove et les cuivres du très rhythm’n’blues 00 High Heel Shoes et même une pénible chanson de scouts Our Love Will Change the World (des Outrageous Cherry)… Un disque de reprises et de nouveaux titres old school qui a ses quelques moments de bravoure.

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