DESTINO ACCOMPAGNE LA SORTIE DE FANTASIA EN BLU-RAY, ACHÈVE ET CÉLÈBRE LA COLLABORATION ENTRE SALVADOR DALI ET WALT DISNEY. RENCONTRE ENTRE 2 GÉNIES DE LA CULTURE POPULAIRE.

« Si vous pensez savoir ce que cette histoire raconte, vous ne le savez pas.  » Dali a toujours eu le sens de la formule. Mais en existe-t-il une qui puisse symboliser le partenariat entre 2 des plus grands magiciens de la culture de masse? La collaboration entre l’homme qui a fait du dessin animé un art et celui qui a fait de son art, et de sa vie, un dessin animé?

Le meilleur moyen de visualiser Destino, c’est de s’imaginer une toile de Dali qui se met à vivre et bouger. Ou de se figurer l’homme à l’improbable moustache designer pour le papa de Mickey. Court métrage de 7 minutes, Destino, c’est la rencontre d’une danseuse et d’un joueur de base-ball.  » Un exposé magique des problèmes de la vie dans le labyrinthe du temps.  »

L’occasion pour nous de s’y balader. Si sa fascination pour Hitler l’a conduit à son exclusion du groupe des surréalistes d’André Breton, Dali se réfugie de l’autre côté de l’Atlantique aux premiers bruits de bottes. De 1940 à 1948, il vit aux Etats-Unis où il se frotte à divers langages artistiques et est en contact avec ceux qu’il appelle les grands surréalistes américains: les Marx Brothers, Cecil B. DeMille et Walt Disney… Dali est à Hollywood pour bosser sur le Spellbound d’Alfred Hitchcock quand, en 1945, il croise le père de Mickey lors d’une soirée chez Jack Warner. Décidé à poursuivre dans la veine de Fantasia, £uvre presque expérimentale pour ainsi dire dépourvue de dialogues qui mêle l’animation et la musique classique (son troisième long métrage après Blanche-Neige et les Sept nains et Pinocchio), le maître du film pour mioches lui propose de travailler sur le projet. Un court métrage qu’il entend intituler Destino. Le destin tragique de Chronos, dieu du temps grec, amoureux d’une mortelle.

Moustache de fer accepte. A l’époque, il est déjà l’un de ses grands fans.  » Dali croyait que son destin était de rencontrer Disney et que le dessin animé serait le nouvel outil que l’Amérique mettrait à la disposition de son imagination, explique Montse Aguer, directrice du centre d’études daliniennes. Il était intéressé par Hollywood. Mais tout particulièrement par l’animation dont le processus créatif était ce qui se rapprochait le plus de son art. »

Les 2 hommes sont par dessus le marché de grands curieux.  » Walt ne voulait jamais se répéter. Il cherchait toujours à se renouveler, insiste Dave Bossert, producteur associé de Destino, depuis plus de 25 ans chez Disney. Il a élevé le dessin animé au rang d’art et a inventé les techniques, les équipements pour rendre ses £uvres possibles.  »

Un état d’esprit assez proche de celui de Dali qui n’est jamais effrayé à l’idée d’expérimenter et cherche toujours le meilleur moyen (peinture, architecture, sculpture, cinéma, publicité…) d’exprimer ses idées. Chacun possède quelque chose que l’autre n’a pas et qu’il désire. Dali veut devenir plus populaire. Disney est passionné, fasciné par les Beaux-arts.

îuvre en suspens

Pendant 8 mois, Dali travaille régulièrement dans les Studios Disney, à Burbank, en Californie. Il y fait équipe avec l’animateur John Hench ( Fantasia, Dumbo et plus tard Cendrillon, Alice au pays des merveilles, Peter Pan) et Bob Cormack ( Fantasia, Bambi). Leur principale source d’inspiration, c’est la chanson Destino d’Armando Dominguez, enregistrée sur un vieux 78 Tours. Ensemble, ils bossent sur le story-board tandis que Dali produit des dizaines et des dizaines de croquis et d’esquisses.

A la fin de la guerre, les studios Disney sont lourdement endettés. Ils doivent 4 millions et demi de dollars à la Bank of America. Et malgré des centaines de dessins, le projet est abandonné en juillet 1946 en dépit d’un contrat signé quelques mois plus tôt. La Seconde Guerre mondiale et le manque d’argent ont raison de cette aventure, peu commerciale dans son esprit et son format, alliant 2 des plus grands génies de la culture populaire. Les 18 secondes qu’Hench monte dans un baroud d’honneur pour convaincre son patron de l’intérêt du projet n’y feront rien.

The End? Plutôt « to be continued ». En 1999, un neveu de Walt, Roy, se met dans la caboche d’enfin déterrer l’£uvre en suspens. Retrouve le matériel original (dessins à l’encre, aquarelles, peintures à l’huile) aux studios Disney et à la Fondation Dali. Et finalement produit le film depuis présenté dans des festivals, trouvable sur le Net et aujourd’hui dévoilé au grand public en bonus de Fantasia.

Vingt-cinq experts en animation dirigés par le Français Dominique Monféry ont sué sur Destino. Basant leur travail sur la séquence des tortues (les fameuses 18 secondes), des archives, des cahiers personnels et la mémoire de John Hench.  » Dans le temps, Hench pouvait imiter le style de n’importe qui, mais dans les dernières années de sa vie, il pouvait encore clairement distinguer quels dessins étaient les siens et lesquels étaient ceux de Dali, reprend Dave Bossert. Pouvoir bénéficier de ses conseils nous a réconfortés et rassurés à l’idée de terminer le projet sans le dénaturer. Destino n’est pas tant une question de commerce que d’achever une £uvre entamée par 2 inimitables artistes. Nous avons réanimé et nettoyéFantasia comme on restaure une fresque salie par le temps et la poussière. »

TEXTE JULIEN BROQUET

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content