Des fourmis et des hommes

Réalisé par Saul Bass en 1974, Phase IV reste un échantillon étonnant de science-fiction spéculative, proposé avec les courts métrages d’un artiste visionnaire.

« C’est la version Série B de 2001: A Space Odyssey « , observe, arguments à l’appui, Sean Hogan en bonus de l’édition collector de Phase IV, l’unique long métrage de Saul Bass, réalisé au mitan des années 70 par un artiste mieux connu jusqu’alors pour les génériques qu’il avait créés pour Alfred Hitchcock, Otto Preminger et d’autres. Aujourd’hui oublié, le film, s’il n’est pas sans défaut, reste un échantillon étonnant d’une science-fiction spéculative travaillée par des ambitions cosmiques -on songe, dans la production récente, à un film comme Arrival, de Denis Villeneuve-, questionnant notamment la place de l’homme sur Terre non sans témoigner d’une grande audace formelle. Phase IV s’ouvre sur la découverte par Ernest Hubbs (Nigel Davenport), un scientifique britannique, d’un dérèglement du comportement des fourmis d’une vallée de l’Arizona, des espèces normalement antagonistes s’étant unies et proliférant tandis que leurs prédateurs disparaissent. De quoi nourrir quelques inquiétudes, un labo, où le docteur Hubbs sera épaulé par James Lesko (Michael Murphy), un spécialiste du langage, étant promptement installé au coeur du désert afin d’étudier le phénomène. Sitôt débarqués dans cette contrée désolée, les deux hommes sont frappés par les étranges tours qu’y ont érigées les fourmis; ils n’ont encore rien vu, les insectes semblant doués d’une intelligence collective à même de balayer leurs certitudes…

Des fourmis et des hommes

Un monde nouveau

S’il devait quelque peu déconcerter à l’époque de sa sortie -comme en atteste la réception critique, étudiée par Frank Lafond dans Phase IV, éclipse de l’humanité, l’ouvrage fort bien documenté complétant ce coffret collector-, Phase IV reste sans conteste une oeuvre fascinante. Saul Bass et son scénariste, Mayo Simon, s’y écartent résolument des codes des films de monstres ( Them! de Gordon Douglas, par exemple, avec ses colonies de fourmis géantes), préférant au spectaculaire une science-fiction intellectuelle, et un sentiment de menace plus diffus mais non moins prégnant. Pour autant, la facture visuelle du film, jouant à la fois de la géométrie et de l’abstraction, n’en reste pas moins saisissante. On n’en attendait à vrai dire pas moins d’un maître des formes comme Bass, dont Phase IV traduit encore les interrogations écologiques, non sans ouvrir sur un monde nouveau dans un final proprement vertigineux.

Dans son seul long métrage, Saul Bass démontre une fois encore son sens de la géométrie et de l'abstraction.
Dans son seul long métrage, Saul Bass démontre une fois encore son sens de la géométrie et de l’abstraction.

Fidèle à sa bonne habitude, l’éditeur Carlotta assortit cette petite pépite SF de bonus nombreux, parmi lesquels la fin alternative tournée par Saul Bass -un modèle de composition graphique, citant aussi bien de Chirico que Magritte-, mais aussi la quasi-totalité des courts métrages signés par ce dernier, de The Searching Eye en 1964 à Quest en 1983. Un ensemble hétéroclite -avec encore une passionnante interview où il revient sur son activité de designer de génériques, mais aussi The Solar Film, oeuvre de sensibilisation commanditée en 1980 par Robert Redford- mais néanmoins cohérent tant formellement que thématiquement. Artiste aventureux, Bass a su mettre ses expériences visuelles au service d’une réflexion existentielle formulée au gré de concepts divers, et prenant encore un tour tantôt ironiquement didactique (comme dans l’épatant Why Man Creates), tantôt ésotérique – Quest, produit par une secte japonaise et scénarisé par Ray Bradbury. À (re)découvrir.

Des fourmis et des hommes

Phase IV, Film de science-fiction de Saul Bass. Avec Nigel Davenport, Michael Murphy, Lynne Frederick. 1 h 22. 1974.

Coffret Ultra-collector édité par Carlotta. Dist: Coming Soon.

7

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