Comment le cinéma s’est emparé des codes du confinement

Anne Hathaway, masquée dans Locked Down
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Locked Down de Doug Liman et Host de Rob Savage, le cinéma s’empare des codes du confinement pour en faire les ressorts de fictions inscrites dans leur époque. En attendant les films de Radu Jude, Claire Denis, Dany Boon et d’autres…

Le terme ayant été mis récemment à toutes les sauces épidémiques, on se gardera de déjà parler de vague. Ils sont toutefois toujours plus nombreux, les films à avoir puisé dans la crise sanitaire un carburant insoupçonné. Ainsi, par exemple, de Malcolm & Marie, huis clos sous haute tension de Sam Levinson affichant bannière Netflix et produit limpide, dans son urgence même, d’un confinement pendant lequel il a été écrit et réalisé. Ce confinement que Pedro Almodóvar a mis à profit pour tourner The Human Voice, d’après la pièce de Jean Cocteau qu’il citait dans La Loi du désir, maître court métrage en forme de monologue auquel Tilda Swinton apporte des colorations multiples (une oeuvre que l’on pourra découvrir en Belgique dès la réouverture des salles). Ou Arnaud Desplechin pour filmer, en compagnie de Léa Seydoux et Denis Podalydès, Tromperie, adapté de Philip Roth. Un projet en sommeil depuis quelques années déjà, faute, dans le chef du cinéaste roubaisien, d’avoir trouvé comment le mettre en forme, et dont il confiait à Libération: « Tout à coup, sa modestie a résonné avec les circonstances imposées. Les personnages étaient confinés dans leur solitude, comme moi… »

Tromperie
Tromperie

Signes extérieurs de crise sanitaire

S’il y a là autant d’oeuvres dont le dispositif a été, en quelque sorte, dicté par les contraintes du moment, d’autres ont fait de la crise sanitaire et du cortège de mesures l’accompagnant, confinement en tête, un moteur narratif, ce qui semblait jusqu’il y a peu du ressort exclusif de la science-fiction renvoyant désormais à la réalité. Encore le cinéma a-t-il le pouvoir de la détourner de son cours, comme le montrent deux films, du reste très différents, disponibles ces jours-ci en VOD: Host, du Britannique Rob Savage (lire encadré), et Locked Down, de l’Américain Doug Liman.

Host
Host

Le premier s’empare de l’un des gimmicks de l’époque, la réunion Zoom, dont il orchestre le dérapage incontrôlé dès lors que ses participants s’y risquent à une séance de spiritisme virtuel. Le prétexte à un petit film fendard, plus astucieux que terrifiant en définitive, et une façon somme toute réjouissante de désamorcer la crise. L’ambition et les moyens, même limités, de Locked Down sont différents. S’appuyant sur un scénario de Steven Knight (Peaky Blinders mais aussi Spencer, de Pablo Larraín, l’un des films les plus attendus des prochains mois), Doug Liman, responsable de The Bourne Identity et de Fair Game notamment, y fait flèche de tout bois. Rues de Londres désertées de leurs habitants; couple en passe de se séparer contraint de vivre le confinement ensemble; réunions Zoom parasitées; manifestations bruyantes de soutien à l’égard du personnel soignant; files devant les rares commerces ouverts (et séquence prolongée dans les rayons de Harrods, fermé pour la première fois en 100 ans); razzia sur le papier hygiénique, dialogue fleuri à la clé -« How many asses have you got? – Fuck off!« ; masques de rigueur dans l’espace public, et l’on en passe: le script semble faire l’inventaire des signes extérieurs de crise sanitaire, comme pour mieux (s’)en jouer. Et le ressort narratif, s’il inscrit indiscutablement le propos dans le présent (au risque d’ailleurs d’une péremption accélérée), donne aussi un surcroît de saveur aux évolutions d’Anne Hathaway et Chiwetel Ejiofor, Locked Down ajoutant à ceux d’un film de casse des enjeux romantiques et, tant qu’à faire, moraux… Non sans, là encore, dédramatiser le contexte anxiogène, envisagé surtout comme moteur de ce qu’on aurait appelé en d’autres temps une comédie de remariage.

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Rattrapés par le confinement

La pandémie autorise, il est vrai, des déclinaisons diverses. Huit ans après avoir tenu le premier rôle de Eyjafjallajökull (d’après le nom du volcan islandais dont l’éruption avait paralysé le trafic aérien européen en 2010), Dany Boon a ainsi tourné 8 rue de l’Humanité, une comédie sur le confinement destinée à Netflix. D’autres ont pris les choses moins à la légère: c’est le cas par exemple de Radu Jude, qui a choisi d’intégrer à Bad Luck Banging or Loony Porn, Ours d’or au dernier festival de Berlin tourné par temps de Covid, la réalité du coronavirus, et notamment le port des masques. Il expliquait à ce propos à Focus: « J’aime l’idée que le film soit historiquement daté par les masques. C’est pour moi l’un des grands pouvoirs du cinéma: capturer l’esprit d’une époque, offrir une représentation d’une réalité très spécifique. »

Bad Luck Banging or Loony Porn
Bad Luck Banging or Loony Porn

C’est également le cas de Claire Denis, qui a décidé d’intégrer le contexte sanitaire à Avec amour et acharnement, son prochain film, inspiré du roman Un tournant de la vie, de Christine Angot, avec Juliette Binoche et Vincent Lindon dans les rôles principaux. Un choix que la réalisatrice d’Un beau soleil intérieur justifiait en ces termes aux Inrocks en mars dernier: « Lorsque nous écrivions le scénario, nous ne l’envisagions pas. Mais tandis que j’entrais en prépa du tournage, nous nous acheminions vers un second confinement. Il m’a paru impossible que le film ne porte pas la trace de ça. Je ne pouvais pas couper cette histoire du contexte dans lequel je la racontais. » Avec un virus qui semble vouloir prendre un malin plaisir à jouer les prolongations, voilà un exemple qui pourrait bien faire école, encore que les points de vue divergent. Interrogé sur sa crainte d’être rattrapé par la réalité sanitaire, Thomas Lilti, le réalisateur de la seconde saison de la série Hippocrate, confiait ainsi récemment au Monde, avoir « flippé quelques heures, mais pas plus« : « Je ne voulais pas instrumentaliser la crise en intégrant le Covid-19 dans la série, ça aurait été un peu obscène. J’ai l’impression que cette crise appartient à tout le monde pour l’instant et je ne voulais pas en faire une fiction, donc un divertissement. Je ne pouvais pas le traiter en temps réel. Ce qu’on raconte, c’est l’état de l’hôpital juste avant la crise. » À suivre…

Locked Down

Comment le cinéma s'est emparé des codes du confinement

Tout juste séparé, un couple londonien, Linda (Anne Hathaway) et Paxton (Chiwetel Ejiofor), est « piégé » par le confinement et contraint de prolonger sa cohabitation. Et de tenter, tant bien que mal, de s’accommoder de la situation, en venant bientôt à imaginer un casse audacieux que pourraient faciliter les circonstances, manière aussi de relâcher la tension présidant désormais à leur relation… Écrit et réalisé pendant le confinement, Locked Down fait des contraintes sanitaires un argument narratif savoureux, au service d’un film louvoyant entre comédie romantique et thriller. Si le mélange des genres ne va pas sans quelques ratés (dans un volet braquage quelque peu désinvolte en particulier), le film n’en est pas moins joliment observé, Doug Liman tirant habilement parti de l’ancrage de l’histoire dans une réalité qui n’est que trop familière. À quoi Anne Hathaway et Chiwetel Ejiofor, impeccables, apportent ce qu’il faut de piquant. J.F.Pl.

  • Thriller/comédie romantique de Doug Liman. Avec Anne Hathaway, Chiwetel Ejiofor, Ben Kingsley. 1h58. ***(*)
  • Disponible en EST ou VOD sur iTunes, Apple TV, Google Play, YouTube, Microsoft Xbox, Rakuten TV, Telenet, Proximus, BeTV.
Host: l’envers de l’écran

Une séance de spiritisme convoquée sur Zoom tourne au jeu de massacre dans Host de Rob Savage, petit film d’horreur malin disponible en Premium VOD.

Comment le cinéma s'est emparé des codes du confinement

C’est en train de devenir un sous-genre cinématographique en soi: celui où l’intrigue du film se passe en grande partie, voire totalement, par écran(s) interposé(s). Bien sûr, le petit monde du 7e art n’a pas attendu le coronavirus, ses vagues (à l’âme) et ses confinements, pour entériner formellement l’importance qu’ont pris les écrans dans nos existences. Ces dernières années, en effet, les longs métrages où les interactions se jouent à distance et à coups de clics n’ont pas manqué de se multiplier, et ce dans des genres divers et variés. Drame romantique avec À coeur battant de l’Israélienne Keren Ben Rafael (2020), où un couple fusionnel doit faire face à une séparation forcée et découvre les limites de la vie par procuration. Thriller à énigme avec Searching de l’Indo-Américain Aneesh Chaganty (2018), où l’enquête d’un père tentant désespérément de retrouver sa fille disparue transite essentiellement par l’ordinateur de celle-ci. Films d’épouvante avec Unfriended (2014) et sa suite Unfriended: Dark Web (2018), où une réunion Skype entre amis tourne à chaque fois au cauchemar. On en passe, et des meilleurs…

À ce petit jeu connecté, on perçoit bien à quel point la veine horrifique est potentiellement féconde, d’autant plus si elle se pique d’intégrer la logique confinée de la crise sanitaire en cours. C’est le cas de Host du Britannique Rob Savage, petit film fauché à l’ingénieux dispositif cinématographique qui a atterri dès l’été dernier sur Shudder, la plateforme anglo-saxonne spécialisée dans l’angoisse, et est désormais disponible chez nous en Premium VOD. S’inscrivant comme la franchise Unfriended dans la grande tradition du found footage (fiction présentée comme un enregistrement vidéo authentique, la plupart du temps tourné par les protagonistes de l’histoire comme dans The Blair Witch Project), le film voit six amis isolés engager un médium pour une séance de spiritisme virtuelle en plein confinement. Sur l’écran fragmenté des ordinateurs, l’humeur est plutôt à la blague moqueuse et à la picole facile, à vrai dire, jusqu’à ce que cette ambiance décontractée peu respectueuse des protocoles ésotériques échauffe les oreilles d’un esprit maléfique bien décidé à faire basculer l’innocent apéro Zoom en inquiétant jeu de massacre…

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Vidéo gag

À l’origine de Host: une simple blague au goût douteux élaborée par Rob Savage pour effrayer ses amis proches. En avril 2020, en effet, au début du confinement, le réalisateur londonien, remarqué jusque-là pour une série de très courts métrages de genre (Absence, Dawn of the Deaf, Salt), leur fait croire en plein échange Zoom que d’étranges bruits se font entendre depuis son grenier. Sous leurs yeux intrigués, il se pique d’investiguer, une astuce bricolée lui permettant de faire apparaître soudainement à l’écran un enfant zombie emprunté au culte [REC] de Jaume Balagueró et Paco Plaza. Frissons garantis. Dans la foulée, il poste la vidéo, d’une durée de tout juste 2 minutes, sur les réseaux: le phénomène devient viral et germe alors l’idée d’en tirer quelque chose de plus conséquent. Host, petit film d’horreur d’une heure à peine, atterrira seulement trois mois plus tard sur Shudder. Écrit et tourné rapidement, il est interprété essentiellement par des connaissances de Savage qu’il a dirigées à distance, leur apprenant notamment quelques trucs artisanaux destinés à faire peur -avec du fil de pêche, ce genre.

Modeste mais efficace, davantage amusant que réellement flippant, le résultat use assez habilement de la confusion propre aux réunions Zoom, problèmes de connexion et son cradingue inclus, mais aussi de la profondeur de champ propice aux apparitions furtives derrière les visages et les corps rivés aux écrans. Avec ses personnages typés et son format idéalement ramassé, le film, joueur, a en outre le bon goût de ne pas se prendre trop au sérieux, semblant d’ailleurs, au passage, prendre plaisir à gentiment se moquer de la peur psychotique du coronavirus -même en danger de mort, deux des personnages du film, finalement réunis dans un seul et même lieu, continuent à se saluer par le coude… Soigner le mal par le mal, en somme.

Nicolas Clément

  • Host. De Rob Savage. Avec Haley Bishop, Jemma Moore, Emma Louise Webb. 1h05. ***(*)
  • Disponible à partir du 20/04 en Premium VOD sur Sooner, VOO, Proximus Pickx, Lumière – Ciné chez vous.

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