ANNÉE FASTE POUR L’AUTEUR DE UNIVERSAL WAR TWO, AVEC UN NOUVEAU VOLUME DE SA SAGA SF ET ÉPIQUE CHEZ CASTERMAN, MAIS AUSSI LA MISE SUR PIED ET LA COORDINATION DES ETATS GÉNÉRAUX DE LA BANDE DESSINÉE, UNE LARGE ASSOCIATION D’AUTEURS POUR DÉFENDRE UN MÉTIER EN DANGER.

Coupes budgétaires, précarisation du statut des artistes, réduction à la portion congrue de la culture sur la RTBF, censures… La culture est-elle en danger?

Vu depuis la France, la disparition d’une émission comme 50 degrés Nord, qui proposait quotidiennement un regard amical mais précis sur tous les arts et toutes les littératures, est un signe assez inquiétant. La Belgique était une vraie terre d’accueil pour toutes les cultures. Cette richesse semble menacée. Quid du rayonnement international que ses artistes et ses acteurs culturels apportaient au pays?

Pourquoi est-elle mal-aimée ou à tout le moins déconsidérée de nos jours?

Est-ce le cas? Cela dépend de ce qu’on met sous le mot culture. Les gens passent des heures à regarder des séries télé, à écouter de la musique et à lire des BD. Une bonne partie de la population a même des pratiques créatives, fait de la musique, de la peinture ou écrit. A tel point qu’énormément de jeunes se dirigent vers des carrières artistiques, et que certaines professions sont même totalement en saturation: trop de créateurs, trop d’oeuvres et une visibilité pour chacun qui devient très difficile. Peut-on parler de « culture mal-aimée » alors qu’elle est souvent victime de son succès? En parallèle, il y a le problème des cultures plus élitistes, classiques ou avant-gardistes: du fait qu’elles sont souvent complexes et difficiles d’accès, leur existence reposait sur un système de subventions. Un modèle qui résiste évidemment mal à une crise financière et à la démagogie politique…

A qui la faute? Aux parents? Aux politiques? A l’école? A Internet?

A tout le monde. On vit dans le triomphe du plaisir égoïste: consommation et autopromotion du moi. La culture la plus pointue ne sert ni l’un ni l’autre. Elle n’a de sens qu’à long terme. Mais quelqu’un s’intéresse-t-il encore au long terme?

C’était mieux avant?

Je ne suis pas sûr. Je me souviens quand j’étais jeune, dans les années 80, les produits culturels étaient bien plus rares. On était en pénurie. Aujourd’hui, nos tables de nuit et nos ordinateurs débordent de livres non lus, de films à voir et de séries TV en retard… Ceci dit, cette facilité d’accès à la culture, surtout à la culture populaire, ne saturerait-elle pas notre temps et finalement ne nous rendrait-elle pas plus paresseux et moins curieux?

Quels arguments utiliseriez-vous pour convaincre les réticents que la culture doit être une priorité?

Un des principaux rôles du créateur est de permettre à la société de prendre de la distance vis-à-vis d’elle-même: se représenter à elle-même, s’observer en changeant de point de vue. Ainsi, la culture est censée nous sortir la tête du guidon, et nous éviter de foncer dans le mur… Laisser la culture ne plus obéir qu’à un système totalement marchand, c’est très dangereux. Si les artistes ne prennent plus de risques, qui se chargera de tenir leur rôle? Qui dira: « Nous allons droit dans le mur« ?

Comment redonner le goût de la culture?

Est-ce aux artistes à réfléchir à ça? Avec le danger de ne penser plus qu’en termes de public à conquérir au lieu de dire ce qu’ils doivent dire, au mépris de tous les risques?

Les révolutions technologiques ont de tout temps bouleversé les pratiques culturelles. N’est-ce pas un combat d’arrière-garde que de s’accrocher à une vision « classique », immuable de la culture?

La culture classique s’enfonce dans l’Histoire, c’est normal. Qui peut savourer Cicéron dans le texte aujourd’hui? Une nouvelle culture se dessine -très bien. Le problème n’est pas ce renouvellement: le problème est que les enjeux deviennent principalement économiques. Si les sociétés ne sont pas prêtes à financer leurs artistes, alors elles n’auront que des artistes marchands, ainsi que quelques riches qui s’amusent en créant et quelques fous inconscients et très pauvres. C’est déjà (ou encore) comme ça que fonctionne le système culturel américain, dans le plus pur libéralisme économique. C’est un vrai choix de société: si vous trouvez normal que l’Etat se retire de la culture, c’est que vous avez déjà décidé que notre modèle social européen est mort.

Et la bande dessinée dans tout ça? On sait que la situation des auteurs est devenue particulièrement difficile, et qu’en France une certaine réaction collective est en train de se mettre en place. Qu’en espérez-vous, et à quoi faut-il s’attendre pour 2015?

La BD est victime de son succès: plein de lecteurs, plein de créateurs -tellement, en fait, qu’il y a trop d’albums publiés par an. Quand j’ai commencé dans les années 90, il y avait 700 sorties, aujourd’hui, on en est à 5000! Cette surabondance est signe d’une extraordinaire vitalité créatrice. Mais elle a une terrible conséquence: le chiffre d’affaires global n’ayant pas augmenté autant que les sorties, chaque album se vend moins bien en moyenne. Les revenus de la plupart des auteurs se sont dégradés année après année. On est arrivés à un niveau de précarisation inquiétant. C’est pour cette raison que quelques auteurs épargnés par cette crise ont proposé à l’ensemble de la profession d’organiser des États Généraux de la Bande Dessinée, pour faire un bilan économique et sociologique de la situation, donner la parole à tous, et essayer de trouver des solutions pour l’avenir. Première session en janvier 2015 pendant le festival d’Angoulême.

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