Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LA PLASTICIENNE CONCEPTUELLE US SUSAN HILLER S’EXPOSE POUR LA PREMIÈRE FOIS EN BELGIQUE À TRAVERS UN PAN ASSEZ PRÉSERVÉ DE SON TRAVAIL: L’AUTOPORTRAIT.

Aspects of the Self 1972-1985

SUSAN HILLER, MOT INTERNATIONAL, 423 AVENUE LOUISE, À 1000 BRUXELLES. JUSQU’AU 26/03.

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L’accrochage consacré par la galerie MOT International au travail de Susan Hiller (1940, Floride) est tout entier traversé par une tension. Celle-ci est contenue dans la vie même de cette artiste désormais basée à Londres. Titulaire d’un doctorat en anthropologie achevé en 1965, Hiller refuse à l’époque la carrière trop évidente qui s’ouvre devant elle. Pas question pour cette étudiante brillante de participer à l’objectivation d’une pratique centrée sur l’homme. Elle rechigne à fabriquer de l’évidence et du consensus -voire du consentement, comme le dirait Noam Chomsky- autour d’une figure dont elle veut conserver intacte la part de mystère. C’est donc en toute logique qu’elle décide de se consacrer à l’art, qu’elle perçoit comme vecteur « transcendant, irrationnel et terrifiant« . L’entièreté de son oeuvre respire ce double mouvement: approcher pour circonscrire et, dans le même temps, s’éloigner, prendre de la hauteur, pour préserver. Il est passionnant, et ô combien révélateur, de constater que c’est au sein d’un paradigme artistique paradoxal qu’elle y parvient: l’art conceptuel. On connaît la rage théorique de ce mouvement, réputé pour sa suspicion à l’égard de la dimension rétinienne d’une oeuvre, et qui n’a pas eu d’autre ambition que de définir les paramètres identitaires de la création plastique. C’est par conséquent dans une zone de sables mouvants que Susan Hiller s’est volontairement installée -zone née de la rencontre entre la poussière sèche du concept et l’eau de sa concrétisation matérielle, visible et tangible. Son travail est donc d’autant plus fascinant que la posture est instable.

Chère chair

Effrayé par la veine conceptuelle? Bonne nouvelle, Aspects of the Self pourrait bien vous réconcilier avec le genre. L’ensemble des oeuvres présentées tourne autour de la question de la représentation de soi en conservant une gangue esthétique, charnelle. On ne se trouve donc pas du côté du conceptualisme le plus radical -celui des plasticiens-penseurs à la Joseph Kosuth des débuts. Au contraire. Dès l’entrée dans la galerie, on se trouve face à Gatwick Suite, un ensemble d’autoportraits issus d’un Photomaton. Hiller y joue à cache-cache avec l’objectif -yeux fermés, main faisant obstacle à la prise de vue-, renforçant la tension évoquée en début d’article. Cette oeuvre de 1983 fait également surgir la fameuse « écriture automatique » de l’artiste, frise de graffitis évoquant la calligraphie arabe, que l’on retrouve tout au long de l’accrochage. Sur le même niveau se déploie Study for 10 Months, ensemble de textes et d’images séquencés en dix moments à la façon d’une chute vers le bas. Susan Hiller y raconte sa grossesse découpée en autant de mois lunaires. Elle le fait non sans établir un parallèle avec la gestation d’une idée et son aboutissement sanctionné par un avertissement: « A work’s meaning is not necessarily the same as the « intention » or the « purpose » of the artist. » A l’étage, c’est l’installation Monument (1980-1981) qui retient l’attention. Un banc vert tourne le dos à un étrange mémorial. Sur le banc en question, un iPod branché sur un casque. On s’assied et l’on écoute une bande sonore de quinze minutes. Le thème? La présence de l’absence dans nos vies… et la persistance inattendue que peut faire émerger une pratique artistique qui ne renonce pas à poser la question du sens. Sans se faire absorber par lui.

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MICHEL VERLINDEN

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