AUX CÔTÉS D’ERIC LANGE, SERGE BROMBERG EST LA CHEVILLE OUVRIÈRE DE LA RESTAURATION DU VOYAGE DANS LA LUNE, CHEF-D’OUVRE DE GEORGES MÉLIÈS. UNE AVENTURE À LAQUELLE ILS ONT CONSACRÉ UN DOCUMENTAIRE PASSIONNANT, ET QU’IL RETRACE PAR LE MENU.

Faut-il y voir l’un de ces tours de prestidigitation dont il avait le secret? Longtemps négligé au-delà des seuls milieux cinéphiles, Georges Méliès connaît, depuis quelques années, un net regain d’intérêt. Après l’exposition que lui consacrait la Cinémathèque française en 2008 à l’occasion du septantième anniversaire de sa disparition et l’édition d’une partie non négligeable de son £uvre en DVD, Martin Scorsese en faisait, l’an dernier, l’un des protagonistes centraux de Hugo Cabret, film enchanteur doublé d’un vibrant hommage à son génie créatif. Enfin, cerise sur le gâteau, on peut (re)découvrir aujourd’hui son légendaire Voyage dans la lune dans une version couleur restaurée. Lequel sort accompagné d’un excellent documentaire explicatif, Le Voyage extraordinaire, venu remettre en perspective un film qui devait connaître un succès planétaire lors de sa sortie, en 1902. Et pour cause, l’imaginaire d’un cinématographe encore balbutiant s’en trouvait, d’un seul coup, singulièrement élargi .

L’ADN du cinéma

Derrière cette restauration, rendue possible par la découverte d’une copie couleur originale par la Cinémathèque de Barcelone, deux hommes, Eric Lange et Serge Bromberg, partenaires au sein de Lobster Films. Depuis son lancement, en 1985, cette société s’est spécialisée dans le patrimoine cinématographique, exhumant des films oubliés quand elle ne restaurait pas des classiques. Cinéphile passionné, Bromberg, son fondateur, n’en est par ailleurs pas à son coup d’essai documentaire: on lui doit L’enfer d’Henri-Georges Clouzot, mémorable évocation du film maudit et jamais achevé de l’auteur du Corbeau. S’agissant de Georges Méliès, il avance plusieurs explications à son retour en grâce:  » On a fêté le 150e anniversaire de sa naissance l’an dernier. Il y a eu des commémorations en France, Hugo Cabret s’est probablement un peu calé là-dessus, et notre film est arrivé à cette date-là par un heureux hasard. Un autre argument qui explique son retour sur le devant de la piste, c’est que ses films sont tombés dans le domaine public début 2009. Quelque part, cela a libéré Georges Méliès. »

Une autre explication, et celle sans quoi tout le reste ne serait sans doute que vaine agitation, est évidemment la magie intacte du cinéma de l’auteur de films comme Les infortunes d’un explorateur ou les momies récalcitrantes; L’homme à la tête de caoutchouc; Eclipse de soleil en pleine lune et autres Illusions funambulesques -autant de courts métrages dont le titre résonne comme un appel à l’imaginaire le plus débridé. Et que dire de ce Voyage dans la lune dont l’image emblématique, l’obus spatial planté dans l’£il de l’astre, appartient à l’inconscient collectif. « Ce qui est merveilleux, poursuit Serge Bromberg, c’est qu’il s’agit d’un cinéma qui relève de l’enfance et de l’innocence. Il se passe de mots, pas seulement parce qu’il est muet, mais parce qu’il remonte vraiment à l’origine du spectacle et du rêve. Méliès, c’est presque l’ADN du spectacle cinématographique, sans être un cinéma moderne mais plutôt du théâtre filmé. »

Cendrillon revisité

Il y a, derrière la démarche de Lange, Bromberg et ceux qui les ont rejoints pour rendre possible l’aventure de cette restauration, un évident désir de transmettre, dont Le Voyage extraordinaire serait l’expression la plus éloquente. La nature même de l’entreprise le justifie amplement – « pure folie depuis le départ », qui nécessitera 12 ans d’un travail pour le moins incertain. Au moment où la copie couleur du film réapparaît, en 1999, les techniques permettant de la restaurer n’existent pas encore, en effet. De fil en aiguille, image après image, pour ainsi dire -il y en a 14 000 au total-, étape par étape, le rêve prend forme, porté par quelques « mavericks », dixit Bromberg. « Une chanson raconte que celui qui n’essaye pas ne se trompe qu’une seule fois. Donc, à chaque fois, on a essayé… » S’ajoute au désir de partager cette expérience la volonté de resituer Méliès, « son histoire, tragique et merveilleuse à la fois. C’est presque Cendrillon: tout à coup, la citrouille se transforme en carrosse, et pendant 15 ans, il va faire des films. Et puis, le carrosse se retransforme en citrouille, et pendant 25 ans, il ne fera plus de cinéma. »

Le double programme qui en résulte aujourd’hui est porteur d’émerveillements à répétition, que ce soit devant l’ingéniosité des trucages et autres tours conçus par ce magicien du cinéma, mais aussi devant la brèche qu’il a ouverte pour ses descendants. « Tous ceux qui suivent leur étoile, et qui osent rêver quelque chose même si personne d’autre ne l’a fait, sont de dignes héritiers de Méliès », observe encore Serge Bromberg. Et de citer, pêle-mêle, les noms de Michel Gondry, Jean-Pierre Jeunet, Tim Burton, Terry Gilliam, et même James Cameron, « un Méliès du XXIe siècle, très industriel« . Parti, à sa suite, tenter de décrocher la lune, ou quelque avatar… l

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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