APRÈS UN PASSAGE PAR LA CASE PRISON ET « AVOIR FAIT L’ACTRICE » DANS POLISSE, JOEYSTARR REVIENT À SES AMOURS RAP AVEC EGOMANIAC.

Petite prise de température: il est comment aujourd’hui, Joeystarr? « Brave », glisse le collègue précédent, intercalé comme nous dans une interminable journée d’interviews. L’intéressé: « Quand on me demande comment je vais, j’ai envie de répondre: promo. En clair, ça me fait chier. A mort. Mais je n’ai pas vraiment le choix, c’est un passage obligé. «  Pour le coup, Didier Morville de son vrai nom (Paris, 1967) déguste. Son nouvel album paraît en effet dans la foulée de la sortie en salle de Polisse, le film de Maïwenn dans lequel il tient un rôle de flic.

Sur la table du patio de la RTBF, une bouteille de rhum aux 3 quarts entamée. Lui, casquette – pas celle du rappeur zonard, mais plutôt le modèle titi parisien- et lunettes noires. Le seul moment où Joeystarr les retire brièvement, il dévoile une vraie gueule d’atmosphère, un faciès d’acteur français des années 50, Michel Simon ou Jean Gabin, pas loin. Pas étonnant qu’il ait fini par trouver le chemin du grand écran… « Mon premier amour reste la musique. Puis, on ne peut pas parler de reconversion en ayant fait 3 films… Mais ce que j’aime dans le cinéma, c’est que tu peux être à la fois protagoniste et spectateur. Ce qui est impossible avec la musique. Parfois des potes viennent me voir en concert, m’en parlent après, des étoiles plein les yeux, et j’ai presque envie d’être à leur place. Au cinéma, tu peux être dans les 2 positions. Au début, pendant une minute, je me regarde, et puis une fois que le film est en place, ce n’est plus Joeystarr et tout son cursus. J’adore ça. « 

Carnet de bord

Ce n’est donc peut-être pas un hasard si Egomaniac, 2e album solo du bonhomme, tient moins de l’egotrip que de la mise en abîme. Plus que jamais, Joeystarr semble prendre du recul. On soumet l’hypothèse. « Je parlerais de distance… Il y a de toute manière quelque chose qui obstrue ta spontanéité, c’est d’arriver quelque part et d’avoir les regards qui convergent sur toi. Ce n’est pas forcément quelque chose qui m’enchante. Parce que chez moi, la mauvaise humeur est un muscle. «  A entretenir? « Non, mais j’aime être de mauvaise… enfin j’aime mes humeurs! C’est ce qui me fait gratter. Mon disque est un carnet de bord, tout est fait au tempérament. J’ai des enfants: je trouve que l’Education nationale devrait inscrire au programme une option qui encouragerait les gamins à tenir un carnet de bord. D’abord, parce qu’on écrit de moins en moins. Ensuite, parce que se raconter, forcément, a des vertus thérapeutiques. « 

Dans Mon rôle, par exemple, Joeystarr dit notamment « la masse me veut cash ». Comme s’il se retrouvait aujourd’hui coincé dans son personnage de grande gueule irascible? « C’est un fait: les gens attendent que je sois cash. Mais j’espère la même chose en retour. Puis je viens d’une école, NTM, où il n’a jamais été question de se comporter autrement.  » Si Didier Morville joue un rôle, il n’est donc jamais très loin de la matrice de base…

L’homme vit toujours à Paris, « dans un quartier populaire, qui bouge pas mal: la dernière fois que je suis sorti chercher des clopes, j’ai pris 2 ans et 7 mois ferme ». Une embrouille et un capot de bagnole défoncé à la hache, avec au bout un séjour à Fleury-Mérogis, où il a pondu tous les textes de l’album, comme l’explicite Jour de sortie. « Le fantasme de base du taulard… Mais c’est le seul morceau qui traite de la prison. Sachant que j’ai un certain public, je n’avais pas envie qu’on fasse l’apologie de tout ça. Pour moi, ce n’est pas une médaille que d’aller en prison. Je ne voudrais surtout pas qu’on pense que je me suis rangé dans la catégorie gangsta rap ou je ne sais quoi. Pour moi, c’est l’attitude la plus commerciale qui existe dans le hip hop à l’heure actuelle. J’ai juste la malchance de faire des conneries et que ce soit mis en lumière. »

Les rois du hall

Sur Egomaniac, celui qui se définit d’abord comme un « libertaire » balance donc sur Sarkozy, le pouvoir des banques – « avec NTM, on a commencé à faire de la musique par le biais du constat d’urgence. Aujourd’hui je ne sais toujours pas faire autre chose »-, invite le communiste Besancenot ou rend hommage à sa mère via le Mamy Blue de Nicoletta. Avec toujours la même gouaille et le même sens de la vanne. Mais en traçant les contours d’un personnage plus nuancé. Sur Complexe, par exemple, il titille la génération qui tient les murs des cités, sans chercher à activer les choses. « C’est humain de se plaindre. Un groupe de gens qui se plaint peut même devenir un contre-pouvoir. Mais quand tu écoutes par exemple le rap français, t’as l’impression que la plupart des gars reviennent de Saigon… ! Effectivement, en France, il existe pas mal de zones franches. Des endroits où la seule représentation de l’Etat doit être la Poste et les Assedic. Ou les flics. Et, certes, toutes les portes ne sont toujours pas ouvertes. Mais ce n’est pas partout comme ça. Je pense qu’on a malgré tout la chance d’être nés sur le bon hémisphère… Aujourd’hui, je trouve qu’il y a une frange de notre jeunesse qui se réfugie dans une posture victimaire. J’ai aussi eu les 2 pieds dans la merde: ça m’a donné 2 fois plus envie de me bouger, et d’aller constater que le monde est vaste. » Prolixe, il continue: « Puis, au bout d’un moment, tu ne fais que nourrir le cliché. Alors que dans les quartiers, il y a plein de gens qui font des choses pour s’en sortir, se mettent au service des autres… Avoir des montées d’hormones, raconter qu’on est le roi du hall, ça peut être une étape, mais pas un but en soi. «  Dont acte…

JOEYSTARR, EGOMANIAC, DIST: SONY.

EN CONCERT LE 18/11, BOTANIQUE, À BRUXELLES

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content