UN FESTIVAL SE DÉFINIT AUTANT PAR SA PROGRAMMATION QUE PAR SON ENVIRONNEMENT. DE WOOD-STOCK À DEEP IN THE WOODS, URBAIN OU PASTORAL, REVUE DES AMBIANCES, DES TAILLES ET DES VOISINAGES.

« Avec mon frère, on est tous les deux partis en même temps de Washington DC pour Woodstock, à 500 km: assez vite, on a été séparés par le stop et on s’est donné rendez-vous devant la porte d’entrée du festival. Le problème en arrivant est qu’il n’y avait plus vraiment d’entrée et qu’au milieu d’un demi-million de personnes, je ne l’ai jamais retrouvé. On s’est revus cinq ou six jours plus tard, chez nos parents. » Rob Fruchtman, 17 ans à l’époque, devenu réalisateur de documentaires, se rappelle comment 500 000 pèlerins ont littéralement survécu dans une vaste prairie de l’Etat de New York pendant trois jours et quatre nuits d’août 1969. Avec des chiottes explosées par l’affluence et une intendance spartiate, les magasins aux alentours étant d’emblée dévalisés par la foule. Tout cela a tribalisé la légende de Woodstock, transformant la célébration de l’âge du verseau en vaisseau amiral de tous les festivals futurs. Ode au rock mais aussi concentration de libertinage et de révolte anti-guerre dans un champ aussi agricole que lexical. Loin d’une ville possiblement quadrillée, réglementée, fliquée. On connaît l’histoire: parce que Woodstock, deux heures de voiture au nord-ouest de New York, est devenu un repère d’artistes -Dylan et The Band y habitent-, des entrepreneurs décident d’y installer un grand festival à l’été 1969. Début juillet, la localité, sous la pression des habitants qui ne veulent pas de l’invasion hippie, refuse définitivement tout permis local à Michael Lang. Comme la billetterie et la com’ portent déjà le nom de Woodstock, celui-ci reste marié à l’événement, qui a finalement lieu à 70 km au sud-ouest de là, à Bethel, sur les 2,4 km2 de la ferme de Max Yasgur. Devenu instantanément populaire en s’adressant aux Woodstockiens sur scène -on le voit dans le film sur le festival-, Yasgur devra par la suite affronter à vie la colère des autres fermiers, irrités par tant d’esprit libertaire. Cardiaque, Max mourra en février 1973, restant le premier paysan à célébrer la gloire du festival rock.

Le gigantisme est pratiqué à l’Ile de Wight (1968-1970) où il faut prendre le bateau pour écouter Dylan, moins de deux semaines après la fin de Woodstock (31 août 1969) ou voir Hendrix 19 jours avant sa mort (30 août 1970). On refait le monde en Provence en août 1970 avec Clapton ou Trafic au Festival de Biot(1), avec Zappa et le Floyd dans un bled du Hainaut, Amougies, à l’automne 1969(2) et, toujours en Belgique, Bilzen installe son Jazz Festival dans un village du Limbourg dès 1965. Werchter débutant en Brabant flamand, dix ans plus tard. Ceux-là, comme les Francos de Spa ou Dour, ont parfois subi l’irritation d’une partie des locaux: il y a deux ans, un groupe Facebook protestait contre le « gigantisme » des Francos et en 1996, le Conseil Communal de Dour proposait une taxe de 10 % sur  » les manifestations culturelles« . Fin renard, Carlo di Antonio, patron du festival et conseiller communal, parvenait à négocier la ponction de 50 francs belges (1,25 euro) à partir de la 10 001e entrée… A Spa notamment, où le patron Charles Gardier est premier échevin, on distribue communément des entrées gratuites aux locaux victimes de « nuisances ». Parallèlement aux transhumances qui amènent les kids des villes aux champs, le festival rock seventies se gargarise de gigantisme: le 28 juillet 1973, dans l’Etat de New York, 600 000 personnes s’amassent sur le circuit de course de Watkins Glen, performance longtemps restée au Guinness Book Of Records. Mais ces rassemblements opérés la plupart du temps dans un semi-chaos ne sont pas reproductibles, pas plus qu’un festival rock dans un précieux théâtre romain du Ier siècle (Orange 1975). Quand même: voir Tangerine Dream ou Nico triper dans un édifice deux fois millénaire construit par les vétérans de la IIe légion de Jules César, c’est plus impressionnant que de se coltiner l’épisodique Inside Festival aux métalliques Halles des Foires de Liège en 1983. Là même où les actuelles Ardentes font bouillir une partie de leur jus… En Belgique, c’est par le biais de la world music qu’un rassemblement anversois (Sfinks) et un autre bruxellois (Couleur Café) penseront différemment le concept de festival musical, en introduisant un visuel personnalisé et, déjà, l’idée qu’on peut consommer autrement. Au Sfinks, le paysan local vend ses tomates au baba mondialiste.

Faut délocaliser!

Entre rase campagne (de Werchter à Glastonbury) et c£ur des villes (Francos de Spa ou Montréal, Primavera Barcelone), les festivals populaires se définissent par leur géographie. Ainsi, le Sziget de Budapest, à chaque mi-août depuis 1993, a la particularité de se tenir sur une île au centre de la capitale hongroise: la personnalité de cet énorme rassemblement tient aussi à son éclectisme culturel, folklorique, culinaire et même monétaire (il a sa propre devise), fragment de l’histoire métissée de l’Europe centrale. Voilà donc la question: que reste-t-il de la marque d’un festival lorsqu’on le déshabille de son programme musical? D’abord, le décor. D’où le succès du Melt! au sud de Berlin qui, à la mi-juillet, s’organise à Ferropolis, extraordinaire musée à ciel ouvert garni d’excavatrices de charbon géantes! Ou le Burning Man: installé au c£ur du désert du Nevada depuis 1990, il est peu à peu devenu l’événement tribal de l’année. Immanquablement sold-out, il accueille les visiteurs de ce grand nulle part, davantage comme une expérience collective, une ville provisoire (Black Rock City) que comme les dernières sensations musicales. Il n’y a d’ailleurs pas de concerts pros mais des performances de tout ordre, conduites par les participants. Le principe majeur est l’autonomie du visiteur qui a eu la chance de décrocher l’un des 50 000 tickets pour la semaine (240 à 420 dollars), inévitablement célébrée par la mise à feu d’un gigantesque homme de bois, d’où le patronyme. Pas de Burning Man belge, mais bien un Deep In The Woods, installé dans un camp de vacances des mutualités chrétiennes à Massembre, en dessous de Dinant, à un jet de la frontière française. Inspirée par le modèle du Hollandais Into The Great Wide Open(3), la première édition, tenue en septembre 2011, est un succès instantané. Simon Laval, l’un des  » bénévoles purs et durs » du comité organisateur, explique pourquoi un public de 700 personnes, plutôt jeune (25-35 ans, avec un cinquième de moins de 12 ans), est venu s’installer dans des bungalows au fond d’une forêt wallonne, pour voir une poignée de groupes quasi inconnus:  » On veut que le logement et l’environnement fassent partie de l’événement, donc on n’accueille que des résidents pour le week-end. Dans une forêt où les plus proches habitations sont à deux kilomètres, on a voulu que le festival, qui est kid friendly, recrée une sorte d’esprit de famille, les bénévoles passant le soir voir si les enfants, restés sans leurs parents, dorment bien. Cela dépasse le cliché bobo, les gens réfléchissent ici à leur manière de vivre et de consommer. Retourner aux sources de la musique et espérer que les concerts donnent de vraies émotions. » L’édition numéro 2, avec huit groupes peu ou pas connus, devrait être complète ces jours-ci…

(1) QUI S’INTERROMPT DANS LE CHAOS APRÈS QUELQUES HEURES, SUR WWW.INA.FR, TAPEZ POP DEUX, ÉMISSION DU 20 AOÛT 1970.

(2) ORGANISÉ PAR LE MAGAZINE ACTUEL, INITIALEMENT PRÉVU À PARIS, QUI REFUSA LA TENUE DE L’ÉVÉNEMENT.

(3) LUI-MÊME INSPIRÉ PAR LE BOWLIE WEEKENDER ORGANISÉ EN 1999 PAR BELLE & SEBASTIAN DANS UN CAMP DE VACANCES DU SUSSEX: L’ÉVÉNEMENT ENGENDRERA LES ALL TOMORROW’S PARTIES.

TEXTE PHILIPPE CORNET

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