ON LE CROYAIT PERDU POUR LA BD. L’AUTEUR DE LÉON LA CAME REVIENT POURTANT APRÈS UNE LONGUE ABSENCE AVEC… SON PREMIER MANGA, LA RÉPUBLIQUE DU CATCH. INATTENDU ET POURTANT COHÉRENT AVEC SON PARCOURS.

Même si Casterman peut aujourd’hui s’en frotter les mains, les éditeurs français de Nicolas de Crécy ont dû se pincer en apprenant la nouvelle: eux qui étaient prêts à publier n’importe quoi de sa main sans lui poser de questions se sont vu voler leur vedette par un éditeur japonais qui ne lui promettait qu’une chose; le traiter comme n’importe quel mangaka! Un défi industriel et graphique, mais d’abord personnel, publié dans la revue nippone Ultra Jump avant de devenir, en même temps, un album en japonais aux éditions Shueshia et en français chez nous. Au moment de notre rencontre, Nicolas de Crécy possède d’ailleurs les deux éditions: du volume et du beau papier chez nous, la norme industrielle et presque « cheap » chez eux… Deux approches foncièrement différentes d’un même auteur, qui a retrouvé le plaisir dans la contrainte: l’auteur de Léon La Came, de Prosopopus ou de Période Glaciaire a enfin renoué avec le goût des cases, des histoires et même du crayonné après trois ans d’illustration, de recherche graphique et de grands formats. Sa République du Catch, combat bourré d’action, d’émotion et aussi de drôlerie entre un anti-héros à la tête d’une bande de fantômes et une secte de catcheurs eux-mêmes menés par un maffioso encore bambin, replace d’emblée son auteur sur la carte. Un auteur qui était semble-t-il déjà doté d’une sensibilité très nippone avant même d’être consacré mangaka.

Il a donc fallu une commande japonaise pour vous faire revenir à la bande dessinée…

Après le dernier tome de Salvatore (en 2010 chez Dupuis), j’ai effectivement eu envie et besoin de mettre la BD de côté. Je ressentais une certaine lassitude, tant créative qu’éditoriale. Les éditeurs me disaient: « Dès que tu as quelque chose, tu nous le montres« , mais ça manquait de nouveautés, tout simplement. Pourtant la narration me manquait. Raconter des histoires. C’est à ce moment-là que le rédacteur en chef de Ultra Jump m’a contacté. L’énorme contrainte de 20 planches par mois m’a fait hésiter pendant un an, mais ça promettait de vrais défis, quelque chose forcément de très différent… Et ça ne se refuse pas, très peu d’auteurs européens ont eu cette opportunité.

Vous aviez effectué une résidence et des voyages au Japon, mais vous dites vous-même que vous n’êtes pas un spécialiste du manga. Comment avez-vous abordé le genre et ses codes?

Je n’ai jamais été un vrai lecteur de manga, je suis trop vieux pour avoir grandi avec. J’ai lu les classiques, mais je connais mal les codes, et il y a tellement de diversité au sein même des mangas. Mais une ou deux choses m’ont paru évidentes, comme la fluidité et la force de la mise en scène. L’essentiel de la force est dans le dessin: les Japonais sentent le mouvement, ils investissent le dessin de manière corporelle, physique, au contraire des Français, culturellement plus littéraires. Au Japon, l’écriture elle-même est déjà du dessin! Ça m’a beaucoup influencé dans la manière de découper une action, d’utiliser moins d’ellipses, de séquencer. Et j’ai dû retravailler des planches pour aller dans ce sens d’une information toujours précise et juste, et livrée par l’image. Les Japonais font confiance à l’image, et ça marche: ils ont envahi le reste du monde comme aucune autre bande dessinée, leur langage est universel.

L’approche graphique est donc japonaise, mais votre récit l’est aussi: les fantômes qui entourent Mario sont une référence directe aux « Yokai », créatures imaginaires très présentes dans le folklore japonais, et dans les films de Miyazaki…

Oui, je tenais absolument à développer de telles créatures, à en inventer. Celui qui est fait de cheveux pourrait être un vrai Yokai, ils en ont un qui est lécheur de crasses dans les salles de bain! Il en existe des milliers, avec une poésie immense. J’utilisais déjà moi-même souvent un principe de bestiaire, pour illustrer ce côté reptilien, instinctif qui, je pense, donne aux artistes leur sensibilité artistique.

Prosopopus ou le Bibendum étaient déjà en quelque sorte des Yokai, très proches en tout cas d’un tel univers…

Oui, et alors qu’à ce moment-là, je n’en avais jamais entendu parler… Je partage peut-être avec eux un goût de l’onirisme moins codifié qu’il ne l’est en Europe. Peu d’auteurs ont réussi à faire autre chose que de la SF ou de la Fantasy de ce point de vue-là: il y a bien Fred, ou Moebius, qui était évidemment très apprécié là-bas.

RENCONTRE Olivier Van Vaerenbergh

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