Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

UNE HARDEUR D’AVANCE – UN TRÈS BON DISQUE ROCK’N’ROLL, MUSCLÉ ET VISCÉRALEMENT INCARNÉ PAR L’ICÔNE DE 66 ANS, MÊME SI L’ENSEMBLE S’AVÈRE EN DÉFICIT MÉLODIQUE.

« THE NEXT DAY »

DISTRIBUÉ PAR SONY MUSIC.

Dès le jeudi 28 février, Bowie autorise la mise en streaming gratuit sur iTunes des quatorze titres de The Next Day, les trois bonus (So She, Plan, I’ll Take You There) n’étant pas (encore) disponibles. Le premier morceau qui est aussi la plage titulaire, donne le ton dominant de l’album: mordant, acide, énergivore. Dominé par une voix qui, semble-t-il, n’a pas concédé de faille au temps -élégance de zibeline, ampleur carnivore- et des guitares abonnées au rayon épique. Contrairement au second titre, le dépouillé Dirty Boys, où un saxophone cru joue une partition presque brechtienne, The Next Day est majoritairement construit en empilant des strates d’instruments multiples: ce qui est à la fois sujet de plaisir et sensation presque nauséeuse de trop-plein. Néanmoins, Tony Visconti, producteur ô combien historique de La Dame, ordonne avec appétit les forces telluriques, résultat d’une décennie de silence discographique depuis Reality, sorti en septembre 2003. Il y a du plaisir et de l’inspiration en continu, comme les claviers haltérophiles du second single The Stars (Are Out Tonight) et des solos vindicatifs de guitares, par exemple dans Dancing Out in Space. Six cordes qui -sous les mains de l’autre fidèle Earl Slick- gonflent bizarrement jusqu’à l’évocation hardeuse de Led Zep ((You Will) Set the World on Fire).

Contrairement à ce que Where Are We Now?, le premier simple, et la pochette actuelle détournée de Heroes (1977) évoquent -les années Bowie Berlin- il ne s’agit pas d’un album thématique rivé à la mélancolie. Plutôt d’un puzzle éclaté, où on croit reconnaître une jeunesse parano (Love Is Lost) et différents indices d’une société tyrannique, aliénante, destructrice (Dirty Boys). Bowie n’est plus le protagoniste immédiat d’un 1984 orwellien qui le réduit à l’état de chien sexué (Diamond Dogs, 1974), mais l’observateur qui en relève les atomes de frustration désespérée. Ce mur du son et des questions positionne l’auditeur moins en clientèle d’un autre disque rock que comme participant à un séminaire sur la biodiversité mentale du XXIe siècle. Sans complètement en adopter le ton professoral, Bowie lui-même, se met en posture d’historien culturel -ne cite-t-il pas un roman d’Evelyn Waugh dans I’d Rather Be High?- et égrène son propre parcours, l’album étant soniquement parent de Lodger, l’opus le moins saillant de sa trilogie berlinoise. C’est précisément en cela que The Next Day rate -partiellement- sa cible idéale: en manquant de grandes chansons, de ces tubes mémorables qui ont déterminé la carrière bowiesque, de Rebel Rebel à Life On Mars. Rien à siffloter sous la douche chez le Bowie 2013 -ou alors faut se faire remodeler langue et mâchoire-, et c’est dommage.

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PHILIPPE CORNET

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