CÉDRIC ANGER MET GUILLAUME CANET AU CENTRE D’UN POLAR CAPTIVANT ET GLAÇANT, INSPIRÉ PAR LA TRAJECTOIRE DU « TUEUR DE L’OISE ».

Le cinéma de genre à la française s’est trouvé un nouveau défenseur de talent en la personne de Cédric Anger. Scénariste dans un premier temps, entre autres pour Xavier Beauvois et son très remarquable Petit lieutenant, auteur-réalisateur ensuite avec deux films aux titres secs et factuels: Le Tueur (2007) et L’Avocat (2011). La confirmation de l’ex-critique aux Cahiers du Cinéma vient de son troisième et meilleur long métrage, La prochaine fois je viserai le coeur(lire la critique page 35). Un polar sobre et stylé, traçant le portrait du très énigmatique « tueur de l’Oise », personnage central d’une sombre affaire remontant aux années 70. A même pas 40 ans, Anger affiche une maîtrise formelle impressionnante. Lui dont le nom signifie « colère » en anglais parle sur un ton calme et posé des enjeux de son film, du cinéma en général. Les mots sont, chez lui, aussi précis que les éléments de sa mise en scène…

« Il y avait l’histoire, et puis le parti pris. C’était, d’emblée, être avec le tueur. Ce qui m’intéressait, c’était le personnage en lui-même, au centre d’une forme qui exprime mais n’explique pas. Faire sentir au spectateur la façon dont lui ressent le monde. Ne jamais mettre celui qui voit le film dans la position de ceux qui cherchent le tueur. Cela n’aurait fait qu’un film de traque de plus. Et puis en mettant les enquêteurs au premier plan, on fait grandir le personnage du serial killer, son absence accentue son mystère. Or je voulais tout le contraire. Filmer le personnage au début comme affichant son mystère, presqu’une figure de film de genre, et puis plus on avance plus il doit nous apparaître ordinaire et banal… » Cédric Anger avait dès le départ des options fortes et claires. Comme aussi « le refus de tout ce qui pourrait être de l’ordre du psychologique, en se concentrant par contre sur le comportement, les déplacements, la manière d’opérer« .

« Personne n’a jamais compris pourquoi il faisait ça, et c’est ce qui est intéressant, au cinéma: scruter la part opaque de l’humain, celle qu’on ne peut saisir ni comprendre et qui fascine d’autant plus« , explique le réalisateur français. Et d’évoquer « une sorte de climat fantastique, s’installant progressivement au coeur même du quotidien, car quand le personnage regarde un verre, une fille ou la forêt, ce n’est pas seulement -dans ses yeux- un verre, une fille, la forêt… »

Fait divers

Il existe deux types de cinéastes: ceux qui s’emploient, parfois brillamment comme un Fellini, un Sternberg, un Stroheim, à remplir le cadre, à y ajouter des éléments, et puis ceux qui au contraire s’acharnent à le vider, à en retrancher des choses. Anger assume son choix d’être de la seconde obédience, celle des « videurs », dont un Jean-Pierre Melville ou un Robert Bresson furent d’éminents représentants. « La forme d’un film se trouve aussi dans son économie, commente le trentenaire. Il n’y aurait pas eu de peintres impressionnistes si la mise à disposition de la peinture en tube n’avais pas permis de sortir, d’aller se balader en prenant tout son matériel avec soi pour peindre in situ… Les partis pris formels s’inscrivent dans cette économie de ce qui vous est disponible, accessible, ou pas. Moi, de toute façon, dès qu’il y a plus de deux ou trois personnages dans mon cadre, j’ai l’impression de faire un péplum (rire)! Ce sont les détails qui m’intéressent, et un détail apparaît d’autant mieux si le cadre est moins rempli… »

Son film « fait sur un obsessionnel… et par un obsessionnel » doit non seulement à sa grande tenue formelle, mais aussi et beaucoup à l’interprétation d’un Guillaume Canet que ses nombreux admirateurs vont découvrir sous un jour très différent dans le rôle de Franck, le gendarme passé par-delà les limites de la loi qu’il a pour métier de faire respecter. « J’avais écrit le scénario en me forçant à ne penser à aucun acteur précis, se souvient Anger, pour pouvoir me plonger totalement dans le personnage sans me poser la moindre question de jeu, qui aurait perturbé cette immersion. Une fois le script achevé, j’avais l’option soit de prendre un interprète très peu connu, pour obtenir une identification immédiate, soit au contraire prendre un acteur populaire, mais en le filmant comme si c’était la première fois. Je savais que Guillaume avait le désir de jouer un personnage négatif. Je me suis dit qu’il y aurait moyen de donner au spectateur l’occasion de le redécouvrir. Et que si on y arrivait, ce serait gagné… »

Canet est formidable dans La prochaine fois je viserai le coeur. Au centre de chaque plan et pourtant comme une permanente énigme. « J’adore cette séquence dans Le Samouraï de Melville où Alain Delon est réduit à être un point sur un plan de Paris, dit très à propos son réalisateur. Pas de dialogue, rien qu’un type qui bouge, et qu’on suit comme un petit point clignotant à mesure qu’il se déplace… Je vois le personnage de mon film comme cela, aussi. La justice n’ayant pas réussi à donner la moindre explication à ce qu’il a fait, je ne vois pas pourquoi moi je devrais en donner une! » « J’ai voulu que le film soit un espace physique mais aussi un espace mental, conclut Cédric Anger, ce n’est pas une émission de télévision genre Faites entrer l’accusé, c’est un film personnel à partir d’une matière qui a priori ne l’est pas: un fait divers réel. J’adapte le fait divers comme j’adapterais un roman. »

RENCONTRE Louis Danvers

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