AVEC LES GARÇONS ET GUILLAUME, À TABLE!, L’ACTEUR-RÉALISATEUR SIGNE UNE ÉPATANTE COMÉDIE À LA PREMIÈRE PERSONNE, UN FILM SE JOUANT ALLÈGREMENT DES CLICHÉS ET DES CONVENTIONS, COMME POUR MIEUX RÉINVENTER LE GENRE

Au commencement était le verbe, en l’occurrence un one-man-show, qu’il estampille pour sa part « monologue », et qui voit Guillaume Gallienne revisiter, sur la scène du théâtre de l’Ouest parisien, une enfance tapissée de malentendus -perspective dont le titre du spectacle, emprunté à une formule à laquelle recourait sa mère, donne la mesure potentielle: « Les garçons et Guillaume, à table! » Cinq ans plus tard, la pièce est devenue un film, apprécié de Cannes à Namur, où l’on rencontre un comédien-réalisateur ajoutant à la volubilité, l’exquise courtoisie. Et revenant, sans se faire prier, sur la genèse de l’histoire: « Je me suis souvenu de cette phrase de ma mère lors d’une séance d’analyse, et je l’ai trouvée énorme. Consciemment, c’est parce que mes deux frères aînés étaient très proches en âge, et étaient plutôt à gauche de l’escalier, et moi à droite. Et elle préférait dire « Les garçons et Guillaume » à « Les garçons et le petit dernier ». Après, inconsciemment, je pense qu’il y a un dossier: un malentendu, cela se fait à deux. » Dans la foulée de cette révélation, ce qui n’était jusque-là qu’anecdotes éparses et autres (més)aventures propres à faire rire dans les dîners s’agence en un puzzle cohérent, le projet prenant définitivement corps lorsque le sociétaire de la Comédie-Française se voit proposer une carte blanche par Olivier Meyer dans son théâtre de Boulogne-Billancourt. « J’ai pris le concept au pied de la lettre, et j’y suis allé franco. »

Schizophrénie latente

De cette histoire au singulier-pluriel -eu égard au rapport entretenu avec une mère « plus castrée que castratrice », suivant son expression-, Gallienne avait d’abord envisagé de faire un film. Si bien que le passage de la scène à l’écran s’est effectué naturellement, pour ainsi dire. « La pièce était un plaisir, mais il y avait deux choses que je ne pouvais pas y faire. La première, c’était de raconter la passivité du personnage: étant donné que je jouais tous les autres, j’avais très peu le temps de me raconter moi. Or, je trouve cette passivité primordiale: je me suis rendu compte que beaucoup d’autres hommes de ma génération, après 68, ont été étiquettés homosexuels parce que passifs. Et l’autre chose, c’était qu’en jouant tout le monde, je croquais les personnages avec un grand plaisir de travailler l’économie du signe, mais du fait de passer de l’un à l’autre, je les défendais assez peu. J’avais besoin qu’ils soient défendus par des acteurs, incarnés… »

Ce sacro-saint principe n’aura souffert qu’une exception, le comédien se réservant également, devant la caméra, le rôle de sa mère, on y revient. « J’avais pensé demander à une actrice, mais je n’étais pas sûr qu’elle puisse comprendre le côté émouvant qu’il y avait dans cette dureté, chez ma mère. A quel point tout cela, en fait, ne raconte qu’une pudeur. Et puis, je n’aurais pas pu m’empêcher de lui montrer, de jouer. Et il n’y a rien de pire pour un acteur. » Gallienne se décide donc à franchir le Rubicon pour jouer à la fois mère et fils comme en prolongement du théâtre de sa vie, dans un numéro de travestissement(s) à répétition pour sûr pas piqué des hannetons, en plus de lui avoir ouvert de nouvelles pistes narratives. « Cela me permettait deux choses: illustrer, à l’image, cette schizophrénie latente qui en devient évidente. Et raconter quelque chose que je pense profondément, c’est qu’on ne règle pas les problèmes, on les transforme, on les poétise. La preuve: je n’ai pas réglé le mien, puisqu’à 41 ans, je continue à la jouer, et c’est une façon aussi de raconter à quel point cette plongée dans l’incarnation de ma mère, dès l’enfance, je ne peux pas la renier, cela m’a constitué. Et puis, cela me permettait encore de raconter une chose très importante qu’avait relevée Isabelle Adjani lorsqu’elle était venue voir la pièce et qu’elle m’avait dit: « C’est impressionnant à quel point on assiste à la naissance d’un acteur. »

Tant qu’il y a du charme

C’est peu dire que, nourri de son histoire personnelle, le film fait flèche de tout bois, dans une frénésie proprement jubilatoire. On y verra ainsi, tour à tour et simultanément, l’histoire d’un coming out inversé, sa famille découvrant avec effarement qu’il n’était pas l’homosexuel qu’elle avait toujours cru; un portrait inspiré de cette grande bourgeoisie dont il est issu et dont il observe, à raison, qu’elle n’est que fort peu montrée dans le cinéma français; une déclaration d’amour aux femmes en général et à sa mère en particulier, et beaucoup d’autres choses, encore. Au passage, Gallienne s’attèle, avec un entrain communicatif, à torpiller les clichés les plus divers, démarche revendiquée bien haut: « C’est un film sur les clichés, les étiquettes, les cases, et qui est lui-même bourré de clichés. » Les moins savoureux ne sont pas ceux dérivant d’un imaginaire cinématographique décliné en une succession de clins d’oeil, tel épisode espagnol empruntant au cinéma d’Almodovar; son pendant anglais à celui de Ivory, la somme s’avérant tout simplement irrésistible.

Interrogé sur sa cinéphilie, Guillaume Gallienne confesse, sans surprise (une fois n’est pas coutume), une prédilection pour la comédie, américaine pour le coup, citant pêle-mêle Wilder, Capra et Lubitsch. Au-delà, et ce n’est certes pas l’aspect le moins réjouissant de Les garçons et Guillaume, à table!, il y a dans ce film une liberté de ton peu usitée, où humour potache et traits d’esprit cohabitent avec bonheur. A tel point que l’on soupçonne l’auteur d’avoir voulu dynamiter les codes du genre. « Je n’ai pas du tout cette ambition-là, se défend-il. Je prends du rire là où il y en a, et beaucoup de choses me font rire: cela peut-être graveleux, ou au contraire extrêmement fin; très méchant ou presque naïf, je prends ce qui me plaît. Tant qu’il y a du charme. Après, on peut faire ce qu’on veut, non? Moi, je peux, du moment qu’il y a un cadre. Ce n’est pas pour rien que je suis à la Comédie-Française: j’ai besoin du cadre, et j’ai besoin de la troupe. Faire les choses seul, cela ne m’intéresse pas. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai arrêté la pièce: je devenais habile, et je déteste l’habileté, c’est la quintessence de la solitude. J’ai besoin d’un cadre, c’est finalement ce qui me reste de cette grande bourgeoisie. »

Unique à tous points de vue, son film vient accréditer avec d’autres l’idée d’un souffle nouveau balayant une comédie française en veine d’auteurs. Trop modeste, il déclare manquer de perspective pour évaluer la chose. Non sans avoir, l’air de rien, sa petite idée sur la question, lui qui avance que, dans une sphère désormais saturée d’histoires, « le public est beaucoup plus averti et exigeant sur leur qualité: les gens ont besoin d’une vraie histoire, il y en a marre des pitch. On a eu dix ans, voire quinze où les films étaient réduits à des pitch. La qualité dramaturgique des séries américaines par exemple veut que maintenant, on aille au-delà. Et c’est peut-être aussi ce qui plaît dans mon film. » On ne saurait mieux dire…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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