AVEC LA NOSTRA VITA, LE RÉALISATEUR DE MON FRÈRE EST FILS UNIQUE SIGNE UNE CHRONIQUE DE L’ITALIE BERLUSCONIENNE CÔTÉ PETITES GENS.

Pour le grand public, le nom de Daniele Luchetti reste associé à 2 films: Le porteur de serviette, dans lequel il évoquait la corruption dans l’Italie de la fin des années 80, et Mon frère est fils unique, où, à travers le destin de 2 frères, son regard embrassait l’histoire transalpine des années 60 et 70. Avec La Nostra Vita ( critique en page 31), le réalisateur, qui fut assistant de Moretti pour La Messe est finie avant de voler de ses propres ailes, poursuit son exploration de l’Italie contemporaine, entreprise qu’il décline désormais au présent puisque le film porte sur les années Berlusconi.

Cette réalité, il l’envisage côté famille et petites gens -dans un esprit n’étant pas sans évoquer celui du cinéma italien de la grande époque. « Je voulais montrer une classe sociale qui, par le passé, a fait la richesse de notre cinéma, approuve-t-il, alors qu’on le rencontre au lendemain de la projection officielle de son film, sélectionné en compétition à Cannes (il en repartira avec le prix d’interprétation pour Elio Germano). Par le passé, on avait coutume de dire que nous avions les pauvres les plus beaux du monde, mais avec le temps, cette classe a été négligée. J’ai aussi été encouragé par le cinéma anglais, où la classe ouvrière occupe une place importante. J’ai voulu aller voir ce qu’il en était chez nous, sans me moquer de cette classe sociale, et à l’abri de l’idéologie. »

Harmonie criminelle

L’idéologie, elle est toutefois présente en creux dans le film qui relate l’histoire d’un ouvrier du secteur de la construction que la perte de sa femme laisse désemparé, privé du fanal qui l’orientait dans le brouillard de son existence. « L’Italie a perdu toute référence idéologique il y a 25 ou 30 ans, et par conséquent, elle a aussi perdu son horizon moral. Il y a quelques décennies, ce même ouvrier aurait été syndicaliste, ou membre d’un parti politique. Maintenant, il n’existe plus de repère politique, le seul point de repère est devenu l’argent », constate Luchetti. Pendant de cette situation, et d’une précarité montant en puissance, une recomposition du paysage social, avec une nouvelle forme d’économie parallèle estompant la notion d’illégalité. « C’est un phénomène que j’ai constaté en tournant un documentaire sur les HLM et sur l’attribution des logements. J’ai réalisé, en effet, qu’au moment de planifier la distribution des appartements, on veillait à ne pas mettre trop de dealers dans le même immeuble. En les éparpillant entre les différents bâtiments, on obtenait une criminalité plus harmonisée. »

Inscrivant son propos dans ce contexte mouvant, Luchetti a aussi veillé à adapter son style, plus naturaliste et spontané que par le passé. Le fruit d’un long processus: « Je me retrouvais à tourner une pub pour un yaourt, et je la faisais suivant les préceptes du Dogme », rigole-t-il, expliquant avoir voulu se libérer des contraintes techniques au profit d’une plus grande vitalité, et d’un souci constant de vérité. Dût-il d’ailleurs y sacrifier le bon goût, en baignant son film dans les chansons tonitruantes de Vasco Rossi…

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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