SUZANNE, DE KATELL QUILLÉVÉRÉ, OFFRE À FRANÇOIS DAMIENS UN RÔLE TOUT EN VULNÉRABILITÉ ET EN DENSITÉ RETENUE. DU SUR MESURE, POUR UN COMÉDIEN ÉVOLUANT AVEC BONHEUR ENTRE CINÉMA POPULAIRE ET FILMS D’AUTEUR.

2013 restera comme une année faste pour François Damiens. Et l’on ne parle pas ici d’une transat Jacques Vabre bouclée en huitième place en compagnie de Tanguy de Lamotte, mais bien de ces films, assortis de rôles mémorables, alignés avec une constance rarement prise en défaut. Soit, dans l’ordre chronologique de leur sortie en salles, Je fais le mort de Jean-Paul Salomé, Tip top de Serge Bozon, que suit aujourd’hui Suzanne de Katell Quillévéré (lire critique page 27). Et, au passage, une sorte de grand écart entre la comédie populaire et le film d’auteur, posture qui lui sied d’ailleurs à merveille. « Je ne fais pas du tout de plan de carrière, nous confiait-il à Cannes, où Suzanne faisait l’ouverture de la Semaine de la Critique, tandis que Tip top occupait les écrans de la Quinzaine. Ce serait un peu prétentieux de penser qu’on maîtrise le futur. Mais j’aime passer de l’un à l’autre. J’ai beaucoup de plaisir à faire des « plus petits films d’auteur ». J’aime cette façon de fabriquer un film, beaucoup moins embarrassante que pour les films attendus, commerciaux, où les rapports sont nettement plus compliqués, hiérarchisés, ce qui n’est pas forcément intéressant, parce que je fais aussi ce métier pour les rencontres… »

Dans la salle des coffres

Longtemps, François Damiens a été abonné aux seconds rôles -emploi dont il s’acquittait d’ailleurs avec maestria, marquant aussi bien les esprits dans Le Caire nid d’espions, la première aventure d’OSS 117,que dans L’Arnacoeur, deux exemples pris (presque) au hasard de sa filmographie. Un film plus que d’autres, sans doute, a contribué à modifier le regard que portaient sur lui le public et la profession, tout en étoffant son profil, à savoir La famille Wolberg, petit bijou tourné avec Axelle Ropert en 2009. « C’est la première fois que j’ai accepté de faire un film qui me faisait peur, acquiesce-t-il. Il y a des films qui, quand on les lit, semblent évidents, « faciles » à faire. Alors que le scénario de La famille Wolberg m’effrayait parce que je savais que j’allais devoir aller puiser des trucs en moi, et on n’est pas toujours sûr de pouvoir… »

Suzanne, qui sort ces jours-ci, n’est pas sans parenté avec celui-là, histoire de famille simple et complexe à la fois, où, dans le rôle d’un père veuf confronté aux aspérités de l’existence, l’acteur évolue sur le fil, tout en densité retenue d’où affleure sa vulnérabilité. « Je vais vers des rôles qui m’interpellent, observe-t-il encore. J’ai envie de me mettre en danger avec des personnes qui me le permettent et sont capables d’aller chercher en moi des sentiments que je ne pourrais peut-être pas sortir moi-même. » Et de louer, après celle d’Axelle Ropert, l’intelligence de Katell Quillévéré, qui a su aussi le mettre en confiance: « Je ne m’ouvre pas facilement. Mais je n’ai jamais senti qu’elle venait puiser en moi des choses que je ne voulais pas; j’ai été chaque fois content d’avoir pu les lui donner. Elle a vite pigé comment je fonctionnais: j’ai eu l’impression, avec Katell, que c’était comme une salle des coffres: elle en avait toutes les clés, elle allait les ouvrir mais elle les refermait bien après. » Soit ce qu’il décrit encore comme le respect, l’humanité et la générosité de la réalisatrice. « J’attache beaucoup d’importance au rapport avec le réalisateur. Katell m’appréciait pour ce que j’étais moi-même et non pour ce que je représentais, ce qui n’est pas toujours le cas. Je pars en courant lorsque je sens un réalisateur avec qui le rapport n’est pas juste, cela ne sert à rien de perdre son temps. Il y a des réalisateurs avec qui, au bout de cinq minutes, on ne sait plus quoi dire. On ne va pas partir deux mois avec eux, cela ne servira pas le film. »

S’agissant de Suzanne, François Damiens confesse avoir été conquis d’emblée par le scénario, à la fois simple et profond, suivant son expression. « C’est le genre d’histoire que je rêve de recevoir, et le genre de film que j’aimerais pouvoir écrire moi-même. J’aime les histoires de la vie de tous les jours auxquelles on peut s’identifier facilement. La vie est tellement riche qu’il n’est pas nécessaire d’aller dans la science-fiction pour inventer des choses. Et puis, j’ai été bluffé par l’épaisseur du personnage. » Soit Nicolas, un père resté seul avec ses deux filles (relation envisagée sur 25 ans) qui le révèlent en composite désarçonnant d’amour, de maladresse et autres sentiments pas toujours bien canalisés. Et un rôle que l’acteur habite avec une sincérité et une justesse désarmantes.

Dans le dossier de presse du film, Katell Quillévéré souligne n’avoir envisagé personne d’autre pour incarner la figure paternelle, ajoutant, à raison, voir en Damiens, « un acteur hallucinant ». Ce dernier adopte pour sa part une ligne modeste, qui confie encore avoir « essayé de faire vraiment attention à lui laisser énormément de pudeur dans les sentiments pour ne pas verser dans la sensiblerie, le côté pathétique de la vie. Et j’étais très bien dirigé par Katell. Ce que j’aime dans ce film, c’est qu’il n’est pas moralisateur, il ne donne pas de leçons, et il a un côté touchant, j’y trouve une grande justesse. Et cela ne ressemble pas non plus à une prise d’otages, où on coince le spectateur dans une salle. Je n’aime pas l’idée de faire pleurer pour faire pleurer. Katell a tout pour écarteler les gens, et chaque fois, elle s’arrête… » Un sens de l’esquive qui s’apparente ici à une mécanique de haute précision; Suzanne est un film à l’image de François Damiens: tip top.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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