REVISITANT THÉORÈME EN MODE PAULISTE, ANNA MUYLAERT SIGNE UN FILM EN PRISE SUR LA RÉALITÉ BRÉSILIENNE, SES ARCHAÏSMES ET LES RAPPORTS DE CLASSES QUI Y PRÉVALENT…

Quatrième long métrage d’Anna Muylaert, réalisatrice brésilienne d’origine… belge (« mon arrière-arrière-grand-père, qui était musicien, et son frère sont venus de Belgique, pour s’installer l’un à Bahia, l’autre à Rio… »), The Second Mother est de ces films qui ne dévoilent leur richesse que sur la longueur. Les règles en vigueur au sein d’une famille de la bourgeoisie de São Paulo y explosent sous le coup de l’arrivée de la fille de la bonne; et la réalisatrice en profite, dans la foulée et presque sans avoir l’air d’y toucher, pour passer la société brésilienne au scalpel d’une caméra qu’elle a tendre et piquante à la fois, le résultat se révélant aussi pénétrant que savoureux… « J’ai commencé à écrire cette histoire il y a une vingtaine d’années, quand j’ai eu mon fils, commence-t-elle. Moi qui avais toujours énormément travaillé, j’ai alors arrêté, pour m’occuper de mon bébé. Je tenais à le faire, alors qu’autour de moi, les gens préféraient confier leur enfant à une nounou, qu’ils installaient chez eux, et qui devait elle-même délaisser son propre enfant pour s’occuper du leur. Je me suis demandée ce que ces gens pouvaient bien ressentir, et je me suis penchée sur ce paradoxe social… »

Mais si Anna Muylaert écrit alors un scénario abordant le sujet en intégrant des éléments de réalisme fantastique, c’est pour s’en détourner un temps, la réalisatrice ne s’estimant pas encore assez mûre pour le porter à l’écran. En lieu et place de quoi, elle tournera un premier film, Durval discos, et puis un autre, E proibido fumar, et encore un troisième, Chamada a cobrar, cosignant par ailleurs le scénario de L’année où mes parents sont partis en vacances, de Cao Hamburger. Mais si les années passent, la question, elle, ne perd rien de son acuité. « Le travail de ces nounous a toujours été fort déprécié. Elever son enfant n’est absolument pas valorisé. C’était le cas à l’époque, et cela le reste aujourd’hui. Les gouvernements brésiliens sont issus de l’élite depuis l’époque des Portugais, nous sommes gouvernés par les riches depuis 500 ans, Lula a été notre premier président issu des classes populaires. Je ne travaille pas pour lui, et ne voudrais pas verser dans la propagande mais en plus d’avoir éradiqué la faim au Brésil, il a amélioré l’image que les gens pouvaient avoir d’eux-mêmes. Il s’est attaché au sort des plus pauvres, qui ont désormais une plus grande estime d’eux-mêmes, et plus de fierté. C’est ce qu’incarne Jessica, cette jeune fille qui débarque dans la famille où travaille sa mère: elle est pauvre, mais croit en elle. Elle reflète un changement significatif qu’a connu la société brésilienne ces quinze dernières années. »

Accès à l’éducation

Pour autant, diverses règles sociales archaïques ont toujours cours, dans la sphère domestique en particulier, barrières dont le film rend d’ailleurs compte limpidement. Et Anna Muylaert de pointer le cancer qui continue, à ses yeux, de ronger la société brésilienne. « Les nantis ne se soucient pas de l’éducation de tout un chacun, ils se préoccupent uniquement de celle de leurs enfants. Les Portugais n’ont pas débarqué au Brésil pour construire une nation, mais bien pour prendre l’or et le ramener en Europe, et cet esprit a perduré. Tant que cette mentalité n’aura pas changé, le problème subsistera. La plupart des gens n’ont pas accès à l’éducation. Il faut avoir le tempérament d’une Jessica pour passer outre, sans quoi on est condamné à végéter. »

Catalyseur de changement, Jessica va aussi bousculer les habitudes de la maisonnée où elle débarque, en affectant, à des degrés divers, chacun de ses membres. Si bien que l’on pense, inévitablement, au Visiteur que campait Terence Stamp dans le Théorème de Pasolini. « Ce n’est pourtant qu’une fois le scénario écrit que mon décorateur m’a suggéré de revoir ce film. Le lien est bien sûr évident, sans que l’on puisse parler d’inspiration. Peut-être mon film a-t-il quelque chose d’italien: j’ai décidé de faire du cinéma grâce à Fellini. Mais The Second Mother est basé sur mon expérience personnelle, et mon envie de parler de questions me tenant à coeur. J’étais dans le sujet, je n’ai pas éprouvé le besoin de voir d’autres films. » A l’écran, Jessica affirme sa foi dans le pouvoir de l’architecture à changer la société. Quant au cinéma? « Dans la meilleure des hypothèses, oui. J’espère que mon film sera vu par des gens de condition modeste, ceux qui, normalement, ne vont pas au cinéma. Et qu’ils puissent se dire que les choses ne doivent pas rester inexorablement en l’état… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Paris

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