Pour ses débuts de cinéaste, la plasticienne Shirin Neshat adapte Shahrnush Parsipur. Et signe, autour du coup d’état de 1953,et du destin de 4 femmes, un film dont la portée embrasse le présent iranien…

Derrière Women Without Men, le premier long métrage de la plasticienne iranienne Shirin Neshat, reconnue autant pour son travail photographique que pour ses installations vidéo, il y a une double ambition, artistique et politique. « Mon travail a toujours eu un pied dans le politique, sourit-elle, alors qu’on la rencontre à la Mostra, flanquée de son collaborateur de longue date et coscénariste, Shoja Azari. Il est pour ainsi dire impossible qu’il en aille autrement pour un artiste iranien. »

Adapté de Shahrnush Parsipur, le film ne posait pas un mince défi, en effet, s’agissant de transposer une langue baignée de réalisme magique avec les outils visuels appropriés, et de concilier de façon intelligible et poétique à la fois les tenants aussi bien historiques que philosophiques et métaphoriques de l’histoire. Autant de contraintes qui ne viendront pas à bout de la détermination de l’artiste: « Mon parcours est assez énigmatique. Quand j’ai commencé à être connue comme photographe, je suis passée à la vidéo. Ensuite, je me suis lancée dans les expérimentations à partir de doubles projections. Mon attirance pour le cinéma n’a dès lors cessé de croître. J’aime aborder les territoires inconnus, et je n’avais pas envie de passer le reste de ma vie à faire une installation pour une galerie après l’autre. A quoi s’ajoute que le cinéma est un médium plus démocratique: tout le monde y a accès. Il y a, en moi, une sorte d’activiste qui voulait se rapprocher de la culture populaire, sortir des galeries et des musées… »

Périodes critiques

Le propos n’a rien d’une posture de circonstance. Si Women Without Men porte incontestablement la griffe d’une esthète, avec ses compositions soignées et la qualité toute picturale de certaines scènes, voire encore l’usage esthétique que fait la cinéaste du tchador, le film est aussi ancré dans un passé iranien dont les effets se font encore ressentir aujourd’hui. En son c£ur en effet, le coup d’Etat de 1953, orchestré par la CIA, et qui devait déposer le gouvernement démocratiquement élu de Mohammad Mossadegh. Une période critique, curieusement peu présente sur les écrans, comme en écho au tabou dont elle fut l’objet par la suite en Iran: « La plupart des films iraniens que l’on voit aujourd’hui parlent de l’Iran post-révolutionnaire, approuve Shirin Neshat. Mon film donne aux Occidentaux, mais aussi aux Iraniens, un regard nouveau sur leur culture. Nous avons d’ailleurs veillé à ce que les 4 personnages centraux soient représentatifs du fonctionnement de l’Iran d’alors. Ces 4 femmes incarnent autant de facettes différentes de notre culture à l’époque.  »

« La perception qu’ont les Occidentaux de l’Iran m’a toujours semblé commencer en 1979, avec la révolution islamique, embraye Shoja Azari. Les événements de 1953 constituent l’une des raisons majeures des conflits qui agitent l’Iran moderne, avec la suppression de la démocratie et la mise en place d’une dictature qui a finalement conduit à la Révolution. Il était crucial à nos yeux de donner cette perspective, et de montrer que l’aspiration à la démocratie et à la liberté en Iran n’est pas neuve. » Pour corroborer ce propos, le film est dédié à tous ceux ayant perdu la vie dans ce combat centenaire, de la Révolution constitutionnelle de 1906 au Mouvement vert de 2009 -les images de ce dernier n’étant d’ailleurs pas sans ressemblance avec celles… de 1953. « Ce qui est significatif, quand on regarde le film comme les événements récents en Iran, c’est la nature cosmopolite du mouvement, et le fait que les femmes y soient à l’avant-plan. Le rôle des femmes dans la lutte est crucial… »

Différentes par leur statut et leurs aspirations, celles de Women Without Men se soustraient à l’aliénation en convergeant bientôt vers un jardin magique et onirique. Un exil synonyme pour elles d’indépendance et de réconfort, mais un exil quand même. « Le jardin où s’échappent ces femmes est à la fois un refuge, et le lieu de la seconde chance.. . , conclut Shirin Neshat, New-Yorkaise d’adoption de longue date, dans la foulée d’études faites aux Etats-Unis. Ironiquement, tous les Iraniens de l’équipe du film vivent plus ou moins en exil. Mais comme Iraniens, travailler sur les métaphores est naturel… »

Entretien Jean-François Pluijgers, à Venise

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