Croire aux fauves

Le 25 août 2015, dans le Kamtchatka, une péninsule océanique à l’extrême est de la Russie, l’autrice et anthropologue Nastassja Martin, disciple de Philippe Descola et spécialiste des populations arctiques, est en travail de terrain avec deux collègues. Lors d’une promenade en solitaire, elle tombe nez à nez avec un ours, qui, surpris autant qu’elle, attaque son visage et sa jambe. Un coup de piolet fait fuir l’assaillant. Contre toute attente, elle ressort vivante de ce baiser extrême. Celle que les Évènes (ces habitants qu’elle venait observer) surnommaient déjà matukha (« l’ourse ») à cause de sa stature impressionnante, est devenue miedka, « marquée par l’ours ». Cet état entre l’humain et l’animal, est celui que sa convalescence, entre opérations multiples et quarantaine forcée, lui permet d’appréhender au fil des pages. Car, entre le carnet diurne (objectif, basé sur les observations) et le carnet noir, nocturne et intime (celui dont elle se saisit après l’événement, le kairos), ce qu’elle nous donne à lire procède d’un état d’esprit renaissant et marqué par l’animisme plus que d’une résignation funeste. Elle voit dans ce processus un geste politique:  » Mon corps est devenu un territoire où des chirurgiennes occidentales dialoguent avec des ours sibériens« . Nastassja Martin s’interroge alors sur son intranquillité latente, qui la ramène dans ces terres où elle se sent davantage elle-même qu’à Paris. Ouvrant grand la brèche d’autres possibles pour nos esprits si rationnels, Croire aux fauves est une morsure salvatrice et durable.

De Nastassja Martin, éditions Verticales, 152 pages.

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