ACCROCHEZ LES CEINTURES: DANIEL LOPATIN EST DE RETOUR AVEC UN NOUVEL ALBUM SIGNÉ ONEOHTRIX POINT NEVER. SOUS L’ELECTRONICA TARABISCOTÉE, DES BOUTS DE CHANSONS, TOUJOURS BIEN PLANQUÉS. AFFECT TEEN

Bruxelles. Une fin d’après-midi cotonneuse, dans un hôtel chic du centre-ville. Le salon-restaurant où l’on rencontre Daniel Lopatin baigne dans une lounge music passe-partout so 90’s. « Horrible, ricane Lopatin. Il n’y a rien de plus affreux que cette bande-son inoffensive. Ou alors U2: c’est le pire groupe du monde, parce qu’il n’est pas assez mauvais pour que je puisse le détester, mais pas assez bon pour que je me souvienne d’un seul de leurs morceaux… Je trouve cela juste ennuyeux. Personnellement, je pense qu’il faut toujours un peu tordre les choses pour que cela devienne intéressant. C’est en tout cas ce que j’essaie de faire quand je compose. Je veux faire une musique qu’on ne pourra jamais jouer dans cet hôtel. »

Enfant démon

Que Daniel Lopatin soit rassuré: on n’imagine pas une seule seconde que son projet Oneohtrix Point Never puisse rejoindre un jour la playlist d’une compilation Buddha Bar. Trop barge pour ça. Depuis plus de dix ans, l’Américain torture en effet méthodiquement l’électronique, la scie, la découpe, la fait fondre, enchaînant un concassage industriel avec une sortie ambient plus planante. Cérébral, Oneohtrix Point Never? Pour sûr. Expérimental? Il y a de ça. En 2009, il baptisait l’une de ses premières sorties officielles Russian Mind: un hommage à cet esprit russe -celui de ses parents, qui ont quitté l’ex-URSS pour New York en 1982, l’année où il y est né-, et dont Lopatin a probablement hérité un certain goût pour le formalisme et l’abstraction…

Largement adoubé par la presse branchée (type Wire), Oneohtrix Point Never a toujours fonctionné dans les marges de la pop culture dominante. Ces derniers temps, Lopatin a pourtant multiplié les tentatives de rapprochement. Comme avec le nouveau Garden of Delete. « J’ai voulu que les choses restent simples. Me contenter de m’asseoir au piano et voir ce qui se passe. Pour la première fois, par exemple, ma mère m’a dit qu’elle n’avait pas eu besoin de s’imaginer un film pour écouter mes morceaux. C’est ce que je voulais. Je n’avais pas envie qu’on se sente obligé de tout déconstruire pour apprécier, ou de se lancer dans des tas d’analyses. Même si elle est complexe, la musique est quelque chose qui doit vous sauter aux oreilles. Et si ça ne suffit pas, vous pouvez toujours faire une thèse à l’université. »

On fait tout de même remarquer que cette ouverture était déjà l’ambition du précédent R Plus Seven, premier album sorti pour le compte du label Warp, en 2013… « C’est vrai, mais cela tenait alors encore fort de la déclaration d’intention. Je me retrouvais malgré tout à travailler des formes et des textures. Ici, tout devait être une chanson. » Gloups! Si Garden of Delete est en effet l’album le plus accessible d’OTPN, son « songwriting » reste (très) loin du couplet-refrain pour feu de camp. Les morceaux constituent ici autant de jeux de piste, certes fascinants mais souvent tarabiscotés -à l’image du dernier « single » Sticky Drama, sorte de Windowlicker 2.0, qui commence au piano, roucoule R’n’B, avant de virer au grésillement indu, et de se fracasser contre un mur du son hardcore. « Disons que c’est ma version de la pop. Celle qui passera à la radio dans 200 ans. Certes, la structure est bizarre, les sons aussi, cela bouge tout le temps. Mais à part ça, sans blague: c’est catchy à mort, il y a même des paroles. »

C’est vrai. Il y a des mots dans Garden of Delete. Et même des voix. Mais jamais celle de Lopatin. Du moins pas directement. Sur Lift, un programme a mélangé les mots jetés au hasard, donnant des phrases du genre « I have no lift without you »: « Sans le vouloir, je me suis retrouvé avec un morceau évoquant les relations humaines, et la codépendance, c’est génial! » Le disque se termine avec No Good, ballade bluesy tordue sous vocoder. « J’ai rentré les mots dans un synthé. Je n’avais plus qu’à appuyer sur les bonnes touches. Le truc, c’est que la machine avait du mal à faire la différence entre le son « o » de God, et « oo » de Good. Cela donne des accidents presque poétiques… »

Le début de Child of Rage est nettement plus angoissant. Il reprend un extrait du documentaire américain du même nom. Diffusé en 1992, le film se penche sur le sort de Beth, 6 ans, abusée dès son plus jeune âge, devenue une gamine violente, sujette à des désordres de l’attachement. « Elle agressait son frère, frappait ses parents. Je me rappelais avoir regardé le film alors que j’étais encore au lycée. C’était typiquement le genre de trucs un peu bizarres que vous matiez entre potes, à moitié défoncés. Mais je l’ai revu récemment. Et cela n’a absolument rien de cool. On parle d’une vraie personne! Je me suis senti honteux de n’avoir perçu dans ce docu qu’un divertissement un peu trash. Avec ce morceau, j’ai voulu montrer les deux côtés de mon expérience: à la fois l’aspect film gore de série Z sur un enfant démon, et toute l’horreur qu’il y a réellement derrière. »

Récemment, OTPN a également composé la musique du film Partisan, d’Ariel Kleiman (avec Vincent Cassel): l’histoire d’un enfant-assassin. Quant au clip de son morceau Sticky Drama, il montre des ados se lançant dans un jeu de rôle grandeur nature, qui dégénère en un trip aussi flippant que sanglant… Un os à ronger avec les années ingrates, Dr Lopatin? Comment comprendre par exemple le titre de l’album, Garden of Delete? « J’aimais bien le paradoxe entre les deux termes: d’un côté, le jardin dans lequel poussent des choses; de l’autre, au contraire, la notion de disparition, d’effacement. De là, vous en tirez aussi éventuellement une belle métaphore: l’idée que du négatif peut naître quelque chose de positif. Qu’à partir de toutes les choses sordides qui ont pu pourrir votre adolescence vous pouvez en tirer quelque chose d’intéressant. Voire un disque… »

ONEOHPOINT TRIX NEVER, GARDEN OF DELETE, DISTR. WARP.

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