Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE COLLECTIF CRÉONS S’APPROPRIE TROIS DEMEURES ABANDONNÉES PRÈS DE LA PLACE DU JEU DE BALLE. L’OCCASION D’APPROFONDIR, VOIRE D’ÉPUISER, LE SILLON INITIÉ EN 2014.

Quelque part

CRÉONS, 133-147 RUE DES TANNEURS, À 1000 BRUXELLES. JUSQU’AU 25/09.

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Petit rappel pour tous ceux qui auraient raté les épisodes précédents. Créons est un collectif d’artistes qui a la rue pour terrain de jeux et dont le programme a surgi à la faveur d’un jeu de mots sur l’homophonie entre « crayons » et « créons ». Cette étincelle lexicale a suffi à mettre le feu aux poudres, les crayons se sont répandus clandestinement le long des autoroutes, sur les murs de Bruxelles, de Charleroi, de Gand, et à l’étranger. C’était il y a six ans. En 2014, la petite bande avait marqué les esprits à la faveur de Mine de rien, une exposition autoproduite ayant pris ses quartiers dans deux maisons inhabitées de Schaerbeek. Pensé comme une « extension éphémère d’un travail prenant la rue comme essence« , l’événement offrait l’occasion au collectif de montrer l’étendue de son imagination et de sa palette graphique. Depuis le 2 septembre dernier, l’adresse d’une nouvelle opération in situ circule sur le Net. Cette fois, Créons n’a pas rameuté les bonnes volontés du ban et de l’arrière-ban, préférant en passer par le site de crowdfunding KissKissBankBank. Du coup, ce Quelque part fait valoir des dimensions impressionnantes: il s’étend sur trois maisons reliées entre elles par un dédale de cages d’escaliers. Pour peu, on s’y perdrait. Disons-le d’emblée, cette nouvelle configuration n’a pas que des avantages. Certes, elle a obligé à déployer de nouveaux trésors d’imagination -qui font souvent mouche- mais il y a aussi des répétitions dans le projet, comme si les intéressés s’étaient sentis obligés de faire plus à défaut de faire mieux.

Changer de paysage

Cette réserve émise, il reste que l’on passe un bon moment en compagnie de ces mines acérées. Cette fois, l’exposition se repère depuis l’extérieur, Créons s’offrant le luxe d’une vitrine dans laquelle un petit train tourne en boucle. Assis dans le gazon, un mini-crayon immortalise sur son chevalet le passage du tortillard, jolie mise en abyme. La scène livre un des axes forts de l’événement, à savoir la fascination pour le paysage bucolique, sans doute une nostalgie de rats des villes. La réflexion menée est belle qui montre comment au XVIIe siècle les peintres ont inventé la notion même de paysage à une époque où l’Europe en ignorait jusqu’au mot. C’est précisément cette propension à conquérir des territoires esthétiques, à nous ouvrir les yeux, que l’on aime chez Créons. Elle fait sens lorsque ces artistes urbains proposent un dispositif de jumelles suspendu à un fil qui permet d’observer des toiles accrochées sous la pente du toit, fascinante perspective d’une maison ouverte. Elle enthousiasme également dans une pièce dédiée à la vieillesse où une fresque représente un vieillard en passe de se végétaliser sous le poids des années. Une composition que vient dramatiser un enregistrement sonore du très plombant Avec le temps de Léo Ferré. Pareil lorsque d’un petit cabinet naissent d’étranges silhouettes noires générées par une Vierge à l’Enfant sans visage. On vibre moins sur les anecdotiques lapins, bien réels ceux-là, tapis dans une pièce à la façon d’une voie sans issue collée sur l’entreprise consistant à épuiser le champ des possibles. C’est ce qui nous fait penser qu’une troisième variation sur le thème ne serait pas vraiment raisonnable. À moins que…

MICHEL VERLINDEN

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