Si le mardi 19 mai prochain, à Vienne, ils participeront aux demi-finales de l’Eurovision avec la chanson la plus courte de l’histoire du concours (1 minute 25) et un style, le punk, qu’on a peu l’habitude de croiser lors de la grand-messe annuelle de la variète, les Finlandais de Pertti Kurikan Nimipäivät débarqueront surtout en Autriche avec un groupe singulier et secoué entièrement animé par des handicapés mentaux. Des Reynols, trio argentin dont le batteur chanteur était trisomique, aux Harry’s composé de six jeunes autistes, en passant par The Choolers Division, aventure hip hop à l’énergie folle initiée au dynamique Centre d’Expression et de Créativité La Hesse, nombre de projets se sont ces dernières années évadés des institutions à vocation thérapeutique.

A Paris, David Lemoine, le chanteur et claviériste du groupe Cheveu, s’investit depuis six ans maintenant dans L’Atelier Méditerranée. Un atelier de musique expérimentale mené avec un public dit autiste ou déficient mental. « Antoine Capet est venu me voir un jour et s’est mis à m’expliquer que la musique avec ses autistes dans son centre sonnait un peu comme celle de Cheveu. Je ne savais pas trop comment je devais le prendre (rires). Mais mes doutes levés, j’ai réalisé qu’il y avait chez eux une sensibilité musicale et plus généralement artistique à creuser. Puis que ce qui m’émouvait le plus, c’est ce qui n’était pas écrit ou prévu. Je ne dis pas que tout ce que font les handicapés est génial. Mais il y a un truc de liberté fondamentale et -le mot peut sembler déplacé- d’exotisme qui me semble vital. Aujourd’hui, tout le monde voyage. Passe sa vie sur Internet. On n’est plus surpris par quoi que ce soit. Moi, l’étonnement culturel, je le trouve là. »

Militant au décloisonnement des personnes marginalisées, David a bossé avec des prisonniers, des SDF, des musiciens de rue… « Ça m’est venu naturellement. Je n’ai jamais trop conceptualisé. Mais il y a quelque chose dans la précarité qui nourrit un besoin d’expression essentiel, une fragilité, une spontanéité qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.  »

La méthode de travail, qui, compte tenu des cas particulièrement lourds impliqués dans les projets, relève plus de la musique enregistrée que du concert, est placée sous le signe de l’accompagnement. « L’idée est d’intervenir le moins possible. Disons qu’on met à leur disposition de quoi faire du bruit et qu’on les laisse explorer librement. En allant vers ce qu’il y a de plus bizarre et spécial dans leur production. » Au départ, il s’agissait de synthés, de micros, d’effets… Mais peu à peu les instruments se sont faits plus adaptés. Des crayons musicaux permettent de dessiner de la musique sur une feuille. Le MaKey MaKey transforme (à l’aide de pinces crocodiles) banane et pâte à modeler en synthétiseur. David et ses complices développent même des instruments pour autistes à partir de capteurs, un casque à ondes cérébrales…

« L’art thérapie, c’est un métier qu’on respecte mais ce n’est pas le nôtre. Nous ne sommes pas là pour soigner. En plus, se réclamer du thérapeutique, c’est foncer tout droit vers les controverses. Rien que pour définir l’autisme, tu n’as pas deux médecins qui tombent d’accord. Nous, on enregistre des disques et on démarche les labels. » L’an dernier, Dokidoki avait ainsi sorti la compilation Sur les rails… Le meilleur moyen de faire tomber les barrières.

J.B.

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