Un événement cinématographique de première importance a lieu en ce moment sur le plateau du Heysel. Vous n’êtes pas au courant? Non, Spielberg n’est pas venu en douce filmer la suite de Tintin dans le Palais 12 transformé pour l’occasion en temple inca. L’avenir du cinéma -oui, oui- se joue juste à côté, au Salon de l’Auto, la seule kermesse où les manèges ne bougent pas.

Un brin sceptique? Enclenchons la deuxième. Imaginez un instant qu’un Poutine converti au bio prenne le pouvoir et interdise du jour au lendemain les quatre roues. Ce serait une cata pour l’emploi bien sûr. Mais ce serait aussi une solide épine dans le pneu de l’industrie du 7e Art. Vous ne voyez toujours pas où on veut en venir? Jetez un coup d’oeil dans le rétroviseur et choisissez un film au hasard. Il y a trois chances sur cinq pour qu’une voiture au moins y joue un rôle, soit comme décor d’une scène cruciale de dispute, de réconciliation, de franche explication, d’aveu, de meurtre, de sexe et on en passe, soit carrément comme actrice principale. Tiens, en passant, à quoi reconnaît-on une bagnole qui a joué dans un film? Il manque les appuie-têtes avant. Encore aujourd’hui, et même si ce n’est plus du tout crédible à l’heure des safety cars, les réalisateurs sont toujours obligés de les retirer pour filmer le conducteur et/ou son passager depuis la banquette arrière. Fin de la parenthèse.

Ça y est, le plafonnier est allumé? Le cinoche entretient depuis le berceau une relation fusionnelle avec le monde automobile. Peut-être parce que ces deux inventions phares de la modernité ont vu le jour au même moment… Des comiques du muet comme Harold Lloyd, Buster Keaton ou Chaplin faisant les pitres dans la circulation ou s’échappant du panier à salades au bras de fer fratricide et inflammable de Rush en passant par les rues de San Francisco (Bullitt) ou les chemins cabossés de la perdition (Bonnie and Clyde), les couloirs du cinéma résonnent de crissements de gomme et d’orgasmes mécaniques (au sens littéral dans Crash).

Petit théâtre de l’intime, confessionnal mobile, chambre à coucher improvisée, scène de crime (remember le coup de pétoire involontaire dans Pulp Fiction), l’auto n’est pas qu’une métaphore expéditive de la société de consommation, c’est avant tout un espace fermé où l’intrigue peut ralentir ou accélérer le tempo. En version grand luxe, elle peut aussi à l’occasion servir de réplique miniature de la hiérarchie sociale d’une époque, comme dans Driving Miss Daisy: le larbin à l’avant, la haute société à l’arrière.

On peut toujours compter sur quelques fêlés du Web pour nous livrer pro deo des statistiques improbables. Le site IMCB (pour Internet Movie Cars Database) a ainsi passé au contrôle technique 34 953 films, séries télé, etc. Verdict: pas moins de -accrochez vos ceintures- 607 147 véhicules recensés! Dont 722 qui tiennent la vedette et 13 411 qui ne quittent pas le héros d’une jante.

Ça y est, maintenant qu’on a lancé le sujet, c’est le carambolage. Les titres motorisés affluent dans le vide-poche de la mémoire. Dernière scène culte en date qui trouvera une place à côté des délires du Dude and friends dans sa poubelle ambulante ou de John Goodman invectivant le pauvre Llewyn Davis dans le dernier Coen: la petite papote entre les flics Woody Harrelson et Matthew McConaughey tirée de la nouvelle série US qui tue, True Detective (lire page 46). Le premier interroge le second sur ses penchants spirituels. Et l’autre de lui sortir une théorie ultra pessimiste très en-dehors des clous du bon Dieu. Un grand moment qui restera gravé sur le capot de nos petits plaisirs cathodiques. On n’image pas cette confrontation ailleurs que dans un habitacle. L’air y est plus rare, plus électrique.

Quand vous foulerez la moquette du Salon, dites-vous que parmi les modèles exposés se trouve peut-être la Ford Thunderbird verte décapotable (Thelma et Louise) de demain. Moteur!

PAR Laurent Raphaël

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