Dans un double album inédit, des cadors du rock indé se branchent sur la transe kinoise des musiciens de Congotronics. étourdissant.

A ma gauche, le bande de Congotronics, assemblage de plusieurs groupes affolants made in RDC. A ma droite, une volée de formations rock indé, cadors triés sur le volet alternatif. Le mélange des 2? Le double album Tradi-Mods vs Rockers, l’un des objets sonores les plus excitants du moment. Carrément.

Rappel des faits. C’est en 2005 que Crammed, label bruxellois à rayonnement international, lance sa série Congotronics, avec le premier album de Konono n°1. Au programme, pas de rumba à la Papa Wemba, ni de ndombolo façon Koffi Olomide. Konono préfère s’appuyer sur les transes traditionnelles du Congo, en les branchant sur l’électricité. Du coup, le groove y est non seulement hypnotique, il est aussi grésillant, « flashé » aux distorsions des likembe, ces mini-pianos à lamelles amplifiés à la kinoise. C’est-à-dire un peu comme et quand on peut…

Le disque fait son petit effet. Surtout que derrière, d’autres groupes suivent, comme le Kasaï All Stars. Très rapidement, la transe « congotronique » trouve un écho, non seulement chez les amateurs de « world music », mais aussi chez les fans de rock. One nation under one volt… Des stars comme Beck commencent même à citer Konono en interview et en 2007 Björk les invite sur son album Volta.

Hommage

Tradi-Mods vs Rockers est un peu la suite logique de cet engouement: une relecture par des groupes rock du répertoire des groupes congolais. Inhabituel? Carrément inédit, oui. A la base du projet, Marc Hollander, big boss de Crammed, explique: « Quand on a lancé la série Congotronics, l’idée de provoquer des remix est très vite arrivée sur la table. Mais on a préféré la mettre de côté. Le terme même, Congotronics, pouvait faire croire à certains que les disques de Konono étaient déjà remixés. Or on avait envie que le son s’impose pour ce qu’il était. Et puis, fondamentalement, remixer Konono pour en faire des morceaux plus clubby pour les boîtes ne nous semblait pas, comment dire, indispensable… « 

Devant l’enthousiasme d’une partie de plus en plus grande de la scène rock indé, l’idée fait malgré tout son chemin. Pour finalement en arriver à lancer les premières invitations. « Par sécurité, on a demandé à plein de gens différents. Finalement, l’accueil a été tellement enthousiaste que l’on s’est retrouvé avec de quoi monter un double album. » Et non une compilation . « Je sais bien que certains n’arriveront pas à éviter le terme. Mais il ne s’agit pas d’une sorte d’anthologie, mais bien d’un projet à part entière, constitué de morceaux spécialement réalisés pour l’occasion. »

Tant qu’on est dans les questions de vocabulaire, on peut encore préciser que l’objet est moins une collaboration ( « les groupes ne se sont jamais rencontrés ») qu’un hommage aux mercenaires du son congolais. Pas de récupération donc, ni de réflexe néo-colonialiste de recyclage à bon compte. Pas le genre de la maison. Parmi ceux qui sont venus déclarer leur flamme, on retrouve notamment Animal Collective, Deerhoof, Juana Molina, Andrew Bird, et même Aksak Maboul, le groupe culte formé par Marc Hollander et Vincent Kenis à la fin des années 70, déjà adepte des croisements de genres…

Transe kinoise

Le casting effectué, chacun est resté libre de pratiquer l’exercice à sa manière. « Il y a dans la liste quelques DJ (Shackleton, Optimo…, ndlr) qui ont plus l’habitude de se réapproprier un autre répertoire à travers l’exercice du remix. Mais quelqu’un comme Juana Molina par exemple, plutôt dans le songwriting, était très inquiète. » Pour le coup, la chanteuse partira de la section rythmique de Wa Muluendu du Kasai All Stars, pour recréer une toute nouvelle chanson. Avec ses instruments bricolos, le groupe bruxellois Hoquets a lui payé son tribut à Konono en composant un morceau « dans le vide », sans rien emprunter à leurs homologues kinois. A l’inverse, un groupe comme Deerhoof s’est échiné à rejouer plus ou moins fidèlement le même Wa Muluendu du Kasaï All Stars. Commentaire du groupe dans le livret: « On s’est tellement amusés (à le jouer), on avait l’impression que cela se mettait en place. Finalement on l’a enregistré à notre manière, et quand on a écouté le résultat, on a réalisé qu’on n’y était pas tout à fait arrivé… » On ne domestique pas aussi facilement la transe kinoise. Cela n’empêche pas le résultat d’être intrigant, y compris dans sa maladresse.

En fait, c’est tout l’album qui navigue à vue, et découvre du coup des terres inédites. Pas vraiment africaines, plus complètement occidentales. Une sorte de carrefour musical passionnant, qui rince les oreilles une bonne fois. Déroutant et captivant à la fois.

La dernière bonne nouvelle, c’est que le projet pourrait ne pas s’arrêter là. Il n’est en effet pas impossible que Tradi-Mods vs Rockers soit transposé sur scène. Marc Hollander: « L’envie existe de développer un live. L’idée est de rassembler un « supergroupe » de musiciens congolais, autour de Konono, et un « supergroupe » indie, avec Deerhoof, Micachu et 3 invités supplémentaires encore à déterminer. Je ne sais pas encore si cela va se faire. C’est un projet assez lourd et coûteux, un peu mégalo: il faut faire venir tout le monde à Bruxelles, répéter pendant 10 jours à Bruxelles… Mais l’idée de réellement pouvoir confronter directement les uns et les autres est assez excitante, j’avoue.  » En effet…

u Tradi-Mods vs Rockers, Alternative Takes On Congotronics, Crammed.

u à signaler également que la série Congotronics bénéficie d’une,

superbe, ressortie en vinyle. Le coffret contient les 5 albums de la

collection, accompagnés d’un album photo, d’une clé usb contenant

les mp3 et 9 vidéos, ainsi qu’un 45 tours reprenant la collaboration

entre le groupe Akron Family et le Kasaï All Stars.

u www.crammed.be

Texte Laurent Hoebrechts

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