L’INCURSION DE HOU HSIAO-HSIEN DANS LE FILM D’ARTS MARTIAUX EST UNE RÉUSSITE TOTALE, AVEC -COMME TOUJOURS- LE RÉEL EN POINT DE MIRE.

„Le cinéma aura toujours pour principale vertu de produire de la réalité. Et je m’emploierai toujours à cultiver ce potentiel unique, à filmer le réel au coeur de la fiction. Que l’action se déroule aujourd’hui ou à une autre époque ne change rien à mon approche. Il s’agit toujours de chercher ce qui est juste, ce qui est vrai. Il s’agit toujours de filmer la vie. » La profession de foi de Hou Hsiao-hsien trouve une forte et belle incarnation dans The Assassin (1), qui lui a valu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Le grand cinéaste taïwanais y signe une incursion remarquable et remarquée dans le genre populaire par excellence du film d’arts martiaux. Sans pour autant changer le moins du monde l’approche qui a rendu si précieux son travail depuis 35 ans et une petite vingtaine de longs métrages. Le réalisateur d’Un temps pour vivre, un temps pour mourir, de La Cité des douleurs,du Maître de marionnettes et de Goodbye South, Goodbye était de passage, voici quelques mois, à la Cinematek de Bruxelles, où une rétrospective lui était consacrée (2). C’est en ce haut lieu de la cinéphilie qu’il nous a entretenu de son fascinant, émouvant, exaltant The Assassin.

« A l’âge de onze ou douze ans, j’ai commencé à lire plein de romans de wuxia (récits de chevalerie, NDLR), avec leurs scènes de combats fantastiques, raconte Hou Hsiao-hsien. Plus tard, à l’université, j’ai été fasciné par la dynastie Tang et tout spécialement par le fait -inexpliqué- qu’il y avait à l’époque de nombreuses femmes faisant la guerre et même exerçant le métier d’assassin… Le film est la résultante tardive de ces deux enthousiasmes de jeunesse… » Une des clés pour réussir le film, voire LA clé, fut de « donner réalité au cadre de vie de l’époque (le IXe siècle), un cadre dont on ne sait pas grand-chose avec certitude, explique le cinéaste. Le travail sur les décors, sur les habitations surtout, fut crucial. Avec ma décoratrice Huang Wen-ying, nous avons pris un soin détaillé de cet aspect des choses, notamment quand il s’est agi de construire les maisons. Ces demeures aux pièces ouvertes séparées par des tissus. Un lieu de vie génère une manière de vivre, et c’est la vie que je voulais capter… »

Le passé au présent

Si les bâtiments durent donc être construits en studio à Taïwan (« quasi rien ne subsiste en Chine des constructions Tang »), le Japon (Nara et Kyoto) fut sollicité pour les temples copiés du style Tang à l’époque même et qui sont très bien conservés. Les paysages de Chine continentale offrant pour leur part leur splendeur naturelle, au terme d’une recherche passant par la peinture ancienne, « mais celle des artistes peignant sur le vif en pleine nature, et pas de mémoire dans leur atelier… » « Nous avons trouvé des lieux superbes à deux ou trois mille mètres d’altitude, une forêt de bois blond, aussi, qu’avaient fixés des peintres de l’époque et dans lesquels nous avons pu filmer dans le sentiment même de ces temps évanouis. » Filmer au présent, même le passé, « car le cinéma ne connaît que le présent! »

L’inévitable question de la violence, Hou Hsiao-hsien a dû l’aborder « selon le même credo d’absolu réalisme. » « L’héroïne du film a pour mission de tuer, c’est ce qu’elle fait, commente-t-il, mais elle le fait avec une vitesse extrême, en gestes brefs et fatals. Son arme n’est pas un sabre mais un tout petit couteau, qui la force à s’approcher au plus près de ses victimes. Cela me permettait tout à la fois d’échapper à de longs moments d’ultraviolence, de ne pas devoir exposer de grandes quantités de sang, d’éviter donc toute complaisance. Mais aussi, puisqu’elle tue de très près, de donner aux meurtres une dimension d’intimité. Quand vous voyez celle qui tue et celui qui va mourir de si près, vous ne pouvez en aucun cas en tirer du plaisir, car l’aspect humain est inévitablement présent du fait même de cette proximité… » Chez les plus grands cinéastes, le style et l’éthique ne vont pas l’un sans l’autre, The Assassin en offre une nouvelle et passionnante preuve.

(1) VOIR NOTRE CRITIQUE EN PAGE 19.

(2) LA CINEMATEK SORT AUJOURD’HUI UN COFFRET DE TROIS FILMS DES DÉBUTS DE HOU HSIAO-HSIEN, RESTAURÉS PAR SES SOINS. VOIR NOTRE ARTICLE EN PAGE 20.

RENCONTRE Louis Danvers

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