LUCAS BELVAUX ABORDE L’AMOUR AVEC UNE INFINIE JUSTESSE, DANS UN FILM INCARNÉ QUI SURPREND AVANT D’ÉMOUVOIR, PROFONDÉMENT.

On avait pu, devant La Vie d’Adèle de Kechiche, parler d’incarnation, au sens le plus fort de ce terme croisant la présence physique d’un interprète et le regard d’un cinéaste apte à la magnifier pour que le personnage existe absolument, charnellement, dans l’expérience faite par le spectateur. Lucas Belvaux donne, avec la complicité d’Emilie Dequenne, une nouvelle illustration de ce phénomène trop rare et dès lors si précieux. Très vite dans Pas son genre, on comprend que c’est cela qu’il est allé chercher dans un sujet (l’histoire d’amour de deux êtres d’origine sociale et culturelle éloignée) qu’on n’imaginait pas être « pour lui » de prime abord. « C’est la première fois que je raconte des choses charnelles, mais en même temps je le fais à travers un personnage populaire« , commente le réalisateur belge, dont le cinéma s’accompagne depuis ses débuts d’une conscience sociale aiguë. Et de préciser: « Le corps parle, le corps raconte. Et comme le personnage de Jennifer est extrêmement vivant, il fallait que la vie passe, qu’elle soit palpable, physiquement, à un point que seule une incarnation totale pouvait permettre. Cette incarnation qui se produit sous nos yeux est incroyable. Je me le suis dit tout au long du tournage, et je me le dis encore aujourd’hui! »

De son travail d’adaptation du roman de Philippe Vilain, Belvaux dit que « tout était dans le livre« . Certes il a enlevé certaines choses, et en a développé d’autres (« comme les karaokés, réduits à une phrase » chez Vilain). Certes aussi le cinéaste n’a pas repris le mode de narration du bouquin, opéré à la première personne par Clément, le personnage masculin (« Jennifer étant toujours vue à travers son prisme à lui« ). « Je voulais qu’ils soient à égalité, explique Lucas Belvaux, elle avec son intelligence concrète, vivant dans l’instant, lui avec son intelligence théorique, et la distance qu’elle suppose par rapport au vécu. Elle est kantienne, comme il le lui explique, mais aussi et surtout épicurienne. Pour elle, ce qui est bon est bon. Pas question de renoncer aux plaisirs simples! »

Révélation

Le réalisateur a découvert le livre au meilleur moment. « Je venais d’enchaîner deux films, Rapt et 38 témoins, qui parlent beaucoup de la mort, ou d’une vie à côté de la vie. Pas son genre est comme une renaissance, une résurrection. J’avais un peu fait le tour de ce qui est noir dans l’humanité, j’avais envie de célébrer la vie. Tout en évoquant, sujet très contemporain, la difficulté qu’il peut y avoir à se rencontrer quand on est de milieux culturels (beaucoup plus que sociaux) différents… »

Emilie Dequenne, qu’il qualifie d' »inouïe« , a pourtant bien failli ne pas jouer Jennifer… « J’ai beaucoup résisté à l’idée de la prendre, se souvient Belvaux, pour la raison somme toute assez simple que c’était trop évident. L’expérience m’a appris que quand l’acteur est très proche de ce qu’on imagine du personnage, on a tendance à s’autolimiter, à ne pas chercher plus loin. Le risque était qu’elle me propose quelque chose de très juste, que je trouve ça très bien, et qu’on n’aille pas au-delà… » Le cinéaste a heureusement fini par « trouver absurde de ne pas rencontrer l’actrice la plus évidente« . Et la première lecture du script faite ensemble lui a causé « une révélation, un flash, une fulgurance! » « Rien qu’en lisant, elle était déjà bien au-delà de ce que j’avais imaginé« , explique, admiratif, un Lucas Belvaux décrivant Emilie Dequenne comme « un phénix, qui se réinvente de film en film, se brûlant dans un rôle puis renaissant à un autre de manière extraordinaire« .

Le style du film, avec son sens des lieux crucial et ses très gros plans sur le personnage de Jennifer, était « déjà inscrit dans le découpage« . Mais il s’est imposé définitivement, et a évolué encore, au tournage. « Tant Loïc Corbery qu’Emilie Dequenne sont des acteurs extrêmement sérieux, avec lesquels on peut aller très très loin, faire des plans de cinq minutes sans couper. Ce qui m’offrait une liberté absolue!« , s’exclame un réalisateur dont la propre expérience, déjà riche de huit longs métrages, lui permet désormais de « travailler sans a priori, en étant constamment ouvert à la découverte, à ce que l’acteur propose. C’est ce que fait Emilie qui décide de l’endroit où je mets ma caméra, et le temps durant lequel je la laisse tourner. L’émotion est toujours dans le plan, jamais dans le montage… »

L.D.

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