HABITUÉ AUX RÔLES DE COMÉDIE, STEVE COOGAN Y AJOUTE UNE AMPLEUR DRAMATIQUE DANS PHILOMENA, PETIT BIJOU DE STEPHEN FREARS DONT IL EST ÉGALEMENT LE SCÉNARISTE ET LE PRODUCTEUR.

Guère connu de ce côté du Channel, Steve Coogan est une authentique star en Grande-Bretagne, où le personnage d’Alan Partridge, apparu en 1991 dans le programme radiophonique On the Hour, lui a ouvert bien grandes les portes d’une notoriété qu’il a su décliner ensuite aussi bien à la télévision qu’au cinéma. Pour tout dire, l’homme a tout d’une institution outre-Manche, allant jusqu’à interpréter son propre rôle dans The Trip, l’un des cinq films qu’il a tournés avec Michael Winterbottom, pour qui il a également campé A Very Englishman, ce qui ne s’invente pas.

Naturellement porté vers la comédie (son nom figure au générique de Hot Fuzz comme de Night at the Museum; de Very Bad Cops comme de Tropic Thunder), l’acteur a toutefois veillé à brouiller les pistes. On le vit ainsi sous les traits de Tony Wilson, le boss de Factory, dans 24 Hour Party People; et le voilà qui multiplie aujourd’hui les emplois à teneur dramatique, postulat vérifié de What Maisie Knew, de Scott McGehee et David Siegel, en Philomena, petit bijou de Stephen Frears où il compose le portrait de Martin Sixsmith, un journaliste dont le vernis cynique va se craqueler au contact de Philomena, une vieille dame recherchant son enfant qui lui avait été arraché pour être adopté lorsque, fille-mère, elle était cloîtrée dans un couvent irlandais. Un film inspiré d’une histoire vraie, et dont il a véritablement été la cheville ouvrière, puisqu’il fut à l’origine du projet, avant d’en cosigner le scénario, millimétré, avec Jeff Pope. Travail d’orfèvre qui devait justement être primé à la Mostra de Venise, le Lido prêtant son cadre ensoleillé à une rencontre détendue.

La genèse de Philomena remonte à plusieurs années déjà, lorsque Steve Coogan découvre un article relatant cette histoire singulière. « Je voulais faire quelque chose de différent, et la lecture de cet article m’a procuré des sentiments divers, allant des larmes à la colère, tout en me donnant envie de raconter cette histoire, avec toutes les questions qu’elle soulevait. » Dans la foulée, l’acteur acquiert les droits de The Lost Child of Philomena Lee, l’ouvrage qu’avait consacré Martin Sixsmith à son aventure, dont il décide de modifier quelque peu la perspective: « Le livre s’attachait beaucoup au fils disparu. J’ai pour ma part décidé de raconter l’histoire du point de vue du journaliste. J’étais moins intéressé par le fait de savoir qui était ce fils que par le voyage. J’avais vu une photo où Philomena était assise à côté de Sixsmith. Ce couple avait l’air tellement improbable que j’ai eu envie de raconter leur histoire. C’est l’approche que j’ai privilégiée: une vieille dame irlandaise face à un intellectuel cynique issu de « Oxbridge », et le triomphe de l’optimisme sur le cynisme. »

Parti sur ces bases, le scénario se nourrira encore des nombreuses conversations de l’acteur avec Philomena Lee et Martin Sixsmith, à quoi viendra s’ajouter la nécessaire licence artistique. Ainsi, par exemple, de la décision de donner au journaliste un background catholique à l’image de celui de Coogan (par ailleurs athée revendiqué, mais ayant, confesse-t-il, conservé diverses valeurs fondamentales héritées de son éducation), manière de refléter plus fidèlement son sentiment personnel face aux événements. C’est que Philomena parle de crise de foi également, sujet sensible que Coogan n’élude pas, tout en veillant à y mettre les nuances -au terme de leur curieux pas de deux, le cynique revenu de tout et la vieille dévote apprendront à se respecter dans leurs différences. Ce qui n’exclut pas, au demeurant, une critique virulente de pratiques d’un autre âge -celles que dénonçait également Peter Mullan dans The Magdalene Sisters. « L’Eglise ne s’est guère montrée coopérative, relève-t-il à propos de ses recherches, suivant en cela sa ligne de conduite habituelle, en tant qu’institution, dès lors qu’elle est confrontée à des scandales ou des critiques. Son attitude a toujours consisté à refuser de parler de ces choses, à les mettre à la trappe ou à les balayer sous le tapis, provoquant de la sorte plus de dégâts encore. De manière significative, lorsque je me suis rendu à Roscrea, le couvent où avait résidé Philomena, j’ai constaté que les tombes des soeurs étaient immaculées et bien entretenues, tandis que celles des mères et de leurs bébés étaient recouvertes de broussailles. C’est une métaphore éloquente de l’attitude de l’Eglise. C’était important, et je tenais à ce que cela se retrouve dans le film. Mais je ne voulais pas pour autant que la critique de l’institution vire à celle des gens qui, en son sein, vivent leur foi honnêtement, et à qui je voulais conférer de la dignité -ce que permettait Philomena. »

À l’assaut du compartimentage

Restait encore à trouver le cinéaste à même de traduire les subtilités du récit, sans verser ni dans la chronique édifiante, ni dans le pamphlet laborieux. Soit un emploi taillé pour Stephen Frears, dont la filmographie témoigne des dons d’observation de la société britannique, en plus d’une sensibilité toute personnelle. « Stephen sait comment raconter des histoires inhabituelles, opine Steve Coogan. Il se met au service du scénario et sait rendre des sujets difficiles accessibles, ce qui ne signifie pas qu’il n’ait pas sa propre voix. C’est un intellectuel, mais lucide quant aux attentes du public. Il avait en outre déjà travaillé avec Judi Dench (en 2005, sur Mrs. Henderson Presents, ndlr), et je tenais à ce que celle-ci se sente d’autant plus à l’aise que son rôle était fort exigeant. Enfin, je faisais confiance à l’expérience de Stephen pour m’aider à jouer ce rôle et me guider, du fait que j’allais jouer un rôle dramatique, moi qui ai plus l’habitude de la comédie. »

A l’autopsie, le film adopte une tonalité intermédiaire, le drame qui s’y déploie revêtant, à l’occasion, des accents plus légers. L’une des clés, aux côtés de l’alchimie manifeste entre Judi Dench et Steve Coogan, de la réussite du film. « Je tenais à ce que l’histoire garde une part de comédie, souligne encore l’acteur-scénariste. Je n’aime pas le compartimentage en vigueur à Hollywood parce que l’argent et le commerce y priment sur l’art, et voulant que l’on ait soit un film d’horreur, soit un drame, soit une comédie, etc. Je suis un grand fan de Billy Wilder et il combinait comédie et tragédie dans ses films, où on riait une minute pour être ému à la suivante. C’est plus honnête à mes yeux: les gens peuvent rire au beau milieu d’une tragédie, ou pleurer lorsqu’ils sont heureux. Il ne fallait pas pour autant que ce choix devienne un dispositif: si l’on s’y prend mal, on peut rapidement verser dans le trivial. Il faut avoir le cran, lorsque quelque chose est sérieux et poignant, de le laisser tel quel. Mais on doit aussi pouvoir se permettre d’être drôle, afin d’alléger et d’humaniser l’ensemble. On échappe ainsi au danger de devenir pontifiant et sentencieux. » Accessoirement, on verra dans cette articulation entre comédie et tragédie le reflet de celle que Steve Coogan tente désormais d’imprimer à sa carrière. Coogan’s bluff, comme en écho à un classique eastwoodien? « J’ai fait l’opposé de ce que les gens attendaient de moi… », sourit-il. Stratégie qui ne lui a pas trop mal réussi…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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