LES PASSIONNANTES MR ROBOT ET UTOPIA LE CONFIRMENT: LES SÉRIES PARANOÏAQUES ONT SOUVENT RAISON DE L’ÊTRE. OU COMMENT LA CONSPIRATION ALIMENTE GAIEMENT LA FICTION.

Mauvaise nouvelle pour les sériephiles, David Fincher n’adaptera pas Utopia. Probablement une manoeuvre secrète du Network, l’entreprise tentaculaire qui dirigeait le monde à coups d’empoisonnements alimentaires dans cette épatante série anglaise. Ou serait-ce plutôt un coup de la main invisible de E-Corp, contre laquelle se bat actuellement Elliot dans le tout aussi convaincant Mr Robot? Voire encore de la police corrompue de Vinci, celle qui s’acharne en secret pour discréditer Ray Velcoro et Antigone Bezzerides dans la (décevante) deuxième saison de True Detective? Si ce n’est carrément les services secrets américains, impliqués dans une sacrée brochette de pièges tendus aux héros de séries, Jack Bauer en tête…

Where is Jessica Hyde?

Difficile de répertorier toutes les séries qui, d’une manière ou d’une autre, s’appuient sur le ressort du complot, gouvernemental ou non, pour attirer le chaland. Le genre se porte mieux que jamais, merci pour lui. Le retour prochain de Mulder et Scully dans X-Files en témoigne. De son côté, Carrie Mathison repartira bientôt pour une nouvelle saison de Homeland tandis que le Matt Dillon de Wayward Pines (la nouvelle série produite par M. Night Shyamalan) vient à peine de sortir d’une éprouvante première saison marquée, elle aussi, par la conspiration à grande échelle. La liste est longue. Drôle de balancier à ce propos: alors que, dans la vraie vie, le mot « complotiste » est quasiment devenu une insulte à destination des irrationnels, des anxiogènes et des déséquilibrés, les théories conspirationnistes prolifèrent dans les scénarios de fiction. Dans ce monde-là, contrairement au nôtre, des héros initialement incompris, broyés par des machinations démoniaques impulsées en haut lieu, finissent toujours (ou presque) par s’en sortir en prouvant au monde qu’ils avaient raison de s’inquiéter.

Dans Utopia, l’improbable Wilson Wilson espère que l’héroïne qu’on lui a administrée pour apaiser ses douleurs n’est pas afghane: « Les Talibans la bourrent de produits pour nous rendre infertiles, tout le monde sait ça! » La série ultra pop de Dennis Kelly, portée par une mise en image pétaradante, des codes esthétiques originaux et une violence frontale, interroge notre rapport aux complots. Via le personnage de Wilson Wilson, qui tente d’effacer toutes les traces informatiques qu’il pourrait laisser -c’était avant l’affaire Snowden et le scandale de l’espionnage Web généralisé-, et qui décèle du complot partout, tout le temps. Maladivement. Mais aussi via les autres jeunes héros qui, parce qu’ils étaient sur le point de découvrir le tome 2 d’Utopia, explosif roman graphique prémonitoire dessiné par un scientifique illuminé, sont pris en chasse par le colossal Network et son tueur aussi implacable qu’autiste. Lequel répète, comme un disque rayé: « Where is Jessica Hyde? » Manipulation alimentaire à grande échelle, apocalypse dans le viseur, destin de l’humanité: Utopia a la bonne idée de complexifier les enjeux du complot. Cela n’a toutefois pas semblé suffisant pour qu’elle soit renouvelée une troisième fois, ni pour qu’elle soit finalement adaptée outre-Atlantique par David Fincher (on parle d’une prévision budgétaire explosée…).

Toujours en cours de diffusion, l’excellente première saison de Mr Robot nous emmène quant à elle, depuis début juillet sur USA Network, dans le sillage d’un hacker solitaire aux yeux globuleux (interprété par l’hypnotisant Rami Malek), lequel fait face à un holding énorme, E-Corp, rebaptisé Evil-Corp: une société secrète de pirates informatiques anarchistes, dirigée par un certain Mr Robot (Christian Slater qui, l’exception confirmant la règle, a enfin fait un bon choix), essaie d’enrôler Elliot pour saper le pouvoir d’E-Corp et redistribuer la richesse au plus grand nombre, en effaçant les dettes contractées par le peuple. Là encore, le thème du petit individu pris dans les rets d’une grosse machine malfaisante, mais bien décidé à ne pas s’en laisser conter (résurgence sempiternelle de la légende de David contre Goliath) alimente la trame fictionnelle sans que personne n’y voie le moindre inconvénient. Comme si la fiction absorbait en elle toutes les peurs, paranoïas et autres phobies selon lesquelles nos gouvernants, qu’ils officient dans la lumière ou non, ne nous veulent pas forcément que du bien: les attentats de Charlie Hebdo et le nombre élevé de Français qui l’imputèrent à des forces occultes ont encore prouvé, début d’année, qu’on a affaire là à quelque chose de profondément ancré dans l’inconscient populaire.

Autant dire que les scénaristes, qui ont toute latitude pour imaginer les plus tortueuses des conspirations, peuvent s’en donner à coeur joie. Même si, dans l’équation, il faut prendre en compte… le succès de la série. Quid du complot quand ladite série se voit renouvelée pour une, deux ou trois saisons? Homeland nous a ainsi paru bien superficielle après le retournement de situation improbable de sa fin de première saison tandis que, a contrario, la très sous-estimée Rubicon, évoluant dans les mêmes sphères (un analyste des services gouvernements met au jour une conspiration), a dû précipiter la résolution de son intrigue suite à son non-renouvellement. Dans cette optique, c’est une nouvelle fois Jack Bauer qui a tout compris: à chaque saison son nouveau complot dans 24, série qui réussit l’incroyable gageure de ne pas (trop) lasser avec ces mêmes ressorts. Copy that!

UTOPIA, UNE SÉRIE CHANNEL 4 DE DENNIS KELLY AVEC FIONA O’SHAUGHNESSY, ALEXANDRA ROACH.

MR ROBOT, UNE SÉRIE USA NETWORK DE SAM ESMAIL AVEC RAMI MALEK, CARLY CHAIKIN.

TEXTE Guy Verstraeten

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