Comme elle respire

© ANA TORFS, WHEN YOU WHISTLE, IT MAKES AIR COME OUT, 2019 PHOTO ANA TORFS

À Bozar, Ana Torfs investit une unique salle ponctuée de quatre installations qui laissent éclater l’immense talent de cette plasticienne bruxelloise.

La proposition articulée au millimètre prend place dans la Salle du Conseil, vaste parallélépipède rectangle. Immersive, elle ne laisse à aucun moment suspecter la masse de travail dont procède son évidence. La toile de fond? Une obscurité envoûtante à peine atténuée par la lumière de trois projections et celle de deux spots pointés sur un tapis de laine simulant la froideur de la pierre. S’il opte pour une découverte effectuée dans le sens des aiguilles d’une montre, le visiteur s’éloignera de la carpette en question, réservant ce dispositif, pour la fin d’un parcours au tracé non contraignant. Entamé sur la gauche, The Magician & The Surgeon débute par un temps fort, une pièce méditative et magnétique. When You Whistle, It Makes Air Come Out (2019) consiste en une projection 16:9, posée sur un trépied, dont le rythme est insufflé par une installation sonore (que l’on écoute sur son smartphone via code QR, précautions sanitaires obligent) restituant les inspirations et les expirations obsédantes d’une respiration dramatisée. Sur l’écran, un caisson lumineux rappelant les anciennes enseignes de cinéma aligne des questions sorties de la bouche d’enfants. « De quoi le vent est-il fait? », « Que se passe-t-il lorsque l’on souffle? » ou « D’où vient l’air que nous avons dans la bouche? ». Ce protocole d’interrogation sur la nature de l’air a en réalité été emprunté au psychologue Jean Piaget qui s’est appliqué à révéler les schémas de pensée des plus jeunes dans un ouvrage de 1927.

Comme elle respire
© ANA TORFS, SIDESHOW, 2019 PHOTO ANA TORFS

Éloge de la gratitude

Les explications esquissées par les petits incitent le spectateur à se débattre avec sa propre ignorance quant à la nature de l’air. Il ne peut éviter la transposition à un registre fondamental, celui du vent vital en lui, ce « souffle » sans lequel il n’y a pas de vie. La science n’est ici d’aucun secours. Face à cette problématique métaphysique d’avoir à se confronter à des principes invisibles, chacun sent bien qu’il n’est que des demi-réponses dont nous nous contentons pour asseoir une contenance. L’oeuvre d’Ana Torfs nous renvoie à une impuissance à la vertu paradoxale: là où cesse le rapport de force peut naître l’étonnement et son bénéfique corollaire qui est la gratitude. Au revers de l’écran, à la façon d’un diptyque contemporain, la plasticienne installée à Schaerbeek a choisi de présenter The Shadow Is Black and in the Darkness It Can’t Show (2019). D’une durée de six minutes, la séquence montre un personnage en noir tentant de gonfler, en vain, l’un de ces mannequins de secourisme dans un décor clair-obscur qui n’est pas sans évoquer Le Caravage. Ce sillon qui évoque la figure du golem, être artificiel à forme humaine, et le rapport à la création est également creusé dans Sideshow (2020), film réalisé en stop motion convoquant l’imaginaire expressionniste et burlesque de l’artiste. Cet univers fantasmagorique tenant le réel à distance s’écoute à la faveur de Echo’s Bones/Were Turned to Stone (2020), pièce sonore dans laquelle une voix féminine murmure une mélopée aux accents mythologiques.

The Magician & The Surgeon

Ana Torfs, Bozar, 23, rue Ravenstein, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 21/07 (uniquement les jeudis de 10 h à 14 h et dimanches de 14 h à 18h) et prolongation jusqu’au 01/11 après les vacances. www.bozar.be

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