LE CARTON DE L’AUTOMNE, C’EST GOTYE, ALIAS WOUTER DE BACKER, QUI L’A COMMIS, AVEC SOMEBODY THAT I USED TO KNOW. UN AUSTRALIEN NÉ À BRUGES, ADEPTE D’UNE POP OBLIQUE, INTIME ET DÉCALÉE.

C’est l’une des surprises de la rentrée, la success story que l’on n’attendait pas forcément. Fin août, il n’a fallu que quelques heures à Gotye pour écouler tous les tickets de son concert du 30 octobre à l’Ancienne Belgique. Résultat: 2 autres dates ont dû être ajoutées, en février, elles aussi rapidement sold out. Entre-temps, la nouvelle a été confirmée: son duo avec la Néo-Zélandaise Kimbra – Somebody That I Used To Know- est bien l’un des hits de l’automne. Une ballade qui démarre sur la pointe des pieds (un sample du guitariste brésilien Luiz Bonfa et un xylophone faussement guilleret), pour se fissurer en cours de route, noyée dans l’amertume, consacrant le principe selon lequel l’atterrissage amoureux ne peut que se terminer par un crash complet, aucun survivant à bord, à peine des connaissances qui se croisent dans la rue…

Accent kangourou

Le titre est tiré de l’album Making Mirrors, le 3e de l’Australien. Le précédent, Like Drawing Blood, avait déjà attiré l’attention, surtout du côté flamand. Pas illogique: même s’il a grandi du côté de Melbourne, Gotye, de son vrai nom Wouter De Backer, est né à Bruges, en 1980. Quand on le rencontre dans un hôtel bruxellois, il lâche même quelques mots en néerlandais, avec un drôle d’accent.  » Un accent kangourou, comme on m’a dit l’autre jour à la télé« , rigole volontiers l’intéressé, modèle d’affabilité.  » Mes parents sont partis s’installer en Australie quand j’avais 2 ans« , explique-t-il. La raison?  » Oh, j’ai déjà entendu plusieurs versions. Le sens de l’aventure? Probablement. L’envie d’une nouvelle vie? Je ne sais pas s’ils cherchaient vraiment à fuir la Belgique. Je pense que c’était peut-être un peu tendu dans la famille. Ils se sont mariés rapidement, alors que ma mère était déjà enceinte. C’était les années 80, mais peut-être que cela posait encore problème…  »

Le premier choc musical de Wouter (l’équivalent flamand de Gauthier -de là, le pseudo) peut paraître étrange: quand il a 10 ans, il est fasciné par les tubes de KLF, projet acid house mâtiné d’activisme politique situationniste.  » Cela me semblait la chose la plus cool que j’avais jamais pu entendre. Pourquoi eux, et pas Rick Astley ou Kylie Minogue par exemple (rires) ? Bah, j’imagine qu’à l’époque j’étais déjà intéressé par ce qui était un peu bizarre, décalé.  » Confirmation avec la chapelle suivante: Gotye est de passage en Belgique quand il achète le Songs of Faith and Devotion de Depeche Mode. Une révélation.  » L’écriture, le songwriting et puis la texture des chansons. Il y a des trucs incroyables sur Songs of Faith , Violator puis, dans une moindre mesure, Ultra . » L’ado ne passe pas pour autant à côté de la rébellion grunge – » au lycée, j’étais dans un groupe qui reprenait Nirvana, Alice in Chains, Soundgarden… « . Mais aux grands élans révolutionnaires, il préfère l’analyse des tourments intimes.  » Je me retrouvais plus dans la mélancolie de Depeche Mode, l’intériorisation de ses angoisses. Peut-être parce que j’ai été dans l’enseignement catholique, les cours de religion, tout ça…  » Les parents De Backer ont d’abord inscrit leur gamin dans une école Montessori.  » Mais mon père pensait que j’avais aussi besoin à un moment d’acquérir une certaine discipline de travail. Par la suite, je les ai convaincus de me laisser dans le même réseau, mais plus pour suivre mes potes qu’autre chose. Je ne suis pas vraiment croyant, probablement plus proche de l’agnosticisme… Je suis plus inspiré par l’idée que les humains recherchent des manières de mieux vivre, en harmonie avec l’environnement, les autres races, les autres pays… Et ça, cela vient d’abord de mes parents. Ce sont des gens très sages et tolérants, très libres d’esprit. J’ai beaucoup appris d’eux. Ne pas se braquer et devenir fondamentaliste sur quoi que ce soit, être capable de prendre du recul, et essayer de comprendre les autres points de vue.  »

Pop à taille humaine

Somebody That I Used To Know est l’illustration parfaite de cet état d’esprit: Gotye commence par y donner son point de vue sur la relation qui a capoté, avant que la chanteuse Kimbra ne donne elle-même sa propre version de l’histoire et sème le doute: qui est la victime? Le traître? Sous l’apparente simplicité, la complexité toujours. Bronte est un autre exemple.  » Cela part de l’histoire d’un couple d’amis, qui ont perdu leur chien. Il était très vieux. Ils ont dû prendre la décision de l’euthanasier. Avec leurs 3 enfants, ils l’ont enterré au fond de leur jardin. J’ai trouvé ça très beau. C’était une manière aussi de montrer aux enfants, de leur expliquer que c’était ok, que cela faisait partie de la vie… J’ai essayé de faire passer ça dans la chanson: ce mélange de tristesse très profonde et d’acceptation presque sereine, le fait qu’il faut parfois laisser les choses aller. Certes, cela reste une chanson pop, mais je ne pense pas que ce soit si léger que ça.  »

Ce qui pourrait résumer la démarche générale de Gotye: sous des dehors pop, la musique du bonhomme cherche en permanence à brouiller les pistes. Simple et directe, mais jamais univoque, passant d’un reggae décalé ( State of the Art) à un exercice de style à la Northern soul ( I Feel Better) ou une citation à peine voilée à George Michael ( In Your Light)  » Essayer d’explorer le plus loin possible, tout en gardant 2, 3 éléments fondamentaux, comme une mélodie forte. Des albums comme ceux de Peter Gabriel ou Kate Bush, par exemple, ont cette qualité d’être à la fois pop et uniques. Ils proposent un monde en soi, avec leurs propres obsessions et préoccupations, mais en restant catchy et transcendant.  » Exactement la route empruntée par Gotye…

GOTYE, MAKING MIRRORS, V2. EN CONCERT (COMPLETS), LES 30/10, 15 ET 16/02, À L’ AB, BRUXELLES.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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