Cole case

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

SUR SON NOUVEL ALBUM, LE RAPPEUR J. COLE TROUVE LE BON ÉQUILIBRE ENTRE PROPOS INTIMES ET RÉCIT PLUS POLITIQUE. UNE ODE À LA FRAGILITÉ DANS UN MONDE DE BRUTES.

J. Cole

« 4 Your Eyez Only »

DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL.

8

Juste avant de passer le cap du nouvel an, le webzine Pitchfork publiait une amusante note de remerciement à tous ces artistes qui n’avaient pas publié de disques en 2016. Marquée par la mort de plusieurs icônes (de Bowie à Prince), l’année a en effet enchaîné les sorties événementielles à un rythme soutenu: Beyoncé, Kanye West, Radiohead, Frank Ocean, Bon Iver, Rihanna, James Blake… Même le mois de décembre, traditionnellement plus calme, a continué d’accoucher de son lot d’albums. À l’instar du nouvel album de J. Cole, 4 Your Eyez Only. Celui-ci arrive quasi deux ans jour pour jour après le précédent, 2014 Forest Hills Drive. Le titre de ce troisième album renvoyait à l’adresse de la maison dans laquelle Jermaine Cole (1985) a grandi, du côté de Fayetteville, en Caroline du Nord. Rachetée en 2014, il en a fait un lieu d’accueil pour mères célibataires. Un geste qui en dit long sur la démarche du rappeur, qui semble avoir trouvé sa voie en mêlant propos intimistes et vision plus politique. 4 Your Eyez Only, son nouvel album, confirme la tendance. Mieux: il l’accentue.

Sur le morceau Neighbors, il précise: « Non, je ne veux pas prendre de photo avec le Président, je voudrais juste causer avec l’homme« , pour lui expliquer ce qui se passe dans la rue, et ce qu’est être Noir en Amérique. Un exemple? « I guess the neighbors think I’m sellin’ dope« , explique le rappeur. L’anecdote est authentique: en mars 2016, un escadron spécial (SWAT) de la police a effectué une descente sur la maison que J. Cole avait transformée en studio -les voisins avaient cru y voir un laboratoire clandestin où venaient se fournir les dealers… « Well, I think police is at the door« … Juste avant, sur Change, il évoque le sort d’un certain James McMillan, un ancien pote, voyou repenti, tué par balle à l’âge de 22 ans. Le nom est un pseudo, mais les faits sont bien réels. Sur le site Rap Genius, on apprend même que l’album entier s’appuie dessus: les yeux dont parle le titre de l’album, par exemple, sont ceux de la fille qu’a eue l’ami disparu. Le morceau éponyme qui termine l’album lui est même directement adressé (« Play this tape for my daughter and let her know my life is on it« ).

Evidemment, il y a un revers au « rap conscient ». Au rejet de toute superficialité bling-bling correspond un prêchi-prêcha trop souvent moralisateur. C’est la règle, et J. Cole n’y a pas toujours échappé (le récent single False Prophets). Sur 4 Your Eyez Only, le rappeur réussit pourtant à trouver le bon équilibre. Notamment parce qu’il cherche à coller au plus près d’une certaine réalité, sans s’en dédouaner. Musicalement chatoyant, 4 Your Eyez Only est aussi une grande mise à nu, une recherche de sincérité rarement entendue dans le hip hop, trop souvent embarrassé par ses poses macho. Ici, J. Cole évoque sa femme (She’s Mine, Pt. 1), là sa fille (She’s Mine, Pt. 2). Sur Foldin Clothes, il envisage le fait de plier le linge et en fait une déclaration d’amour. Regarder Netflix dans le divan, manger des céréales et boire du lait d’amande au petit déjeuner… « It’s the simple things« , insiste J. Cole. Cette fois, la police ne viendra pas frapper à la porte…

LAURENT HOEBRECHTS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content