ENGLAND, MORNE PLAINE – QUATRE FILMS ÂPRES TÉMOIGNENT DE L’ACUITÉ DU REGARD D’UN CINÉASTE AYANT SU CERNER L’ANGLETERRE DES ANNÉES THATCHER, EN UNE HISTOIRE DE TOUTES LES VIOLENCES…

SCUM, MADE IN BRITAIN, THE FIRM, ELEPHANT. 4 FILMS DE ALAN CLARKE. AVEC RAY WINSTON, TIM ROTH, GARY OLDMAN. ED. POTEMKINE. DIST: TWIN PICS.

Peu connu en dehors d’Albion, Alan Clarke est pourtant l’une des figures-clés du cinéma britannique des années 70 et 80, un cinéaste qui, mieux que tout autre, sans doute, a su cerner l’Angleterre de l’époque Thatcher, sujet prioritaire d’une filmographie d’une vigoureuse âpreté, comme d’une singulière audace formelle -son Elephant a servi de matrice à celui de Gus Van Sant, pour situer. Tournés entre 1979 et 1989 pour la télévision ou le cinéma, 4 de ses films les plus emblématiques font aujourd’hui l’objet d’un coffret bienvenu: plus de 20 ans après, on reste stupéfait devant l’acuité du regard du cinéaste, mais aussi devant les contours affolants d’une réalité qu’il embrasse sans faux-fuyants.

Tourné en 2 versions (l’une pour la télévision, refusée par la BBC, et l’autre pour le cinéma) au crépuscule des années 70, Scum est une plongée sans filet dans un « borstal », un centre de redressement pour délinquants juvéniles où atterrit Calvin (Ray Winston), un dur qui va tenter d’y imposer sa loi. La violence est ici omniprésente, et Clarke la partage équitablement entre pensionnaires et gardiens, démontant au passage les rouages d’une institution répressive totalement inopérante. Il n’en ira pas autrement dans Made in Britain qui, en 1982, prend pour figure centrale Trevor (Tim Roth, phénoménal pour sa première apparition à l’écran), un skinhead d’extrême-droite ultra violent, maniant la morgue agressive et la provocation lucide; coupable, certes, mais aussi victime d’un système éducatif n’ayant rien à lui offrir. Et Clarke de laisser, pour sa part, le spectateur à ses interrogations à la suite d’un film dont l’énergie est à la mesure de l’inconfort qu’il génère.

Urgence et inconfort

Le constat vaut également pour The Firm, réalisé en 1989, où Gary Oldman incarne la face respectable a priori mais pas moins sauvage pour autant d’un hooliganisme organisé, produit de la société britannique. Ici encore, Clarke opère à front d’une violence crue dont il questionne les mécanismes en observateur avisé. Une proposition à laquelle il donne une forme radicale dans Elephant (1989 également), moyen métrage sans paroles et sans musique, qui prend pour cadre Belfast, et aligne mécaniquement une série de meurtres accomplis de sang froid, sans la moindre explication. Exécutants et victimes se confondent en un mouvement implacable et répétitif, englobant jusqu’au spectateur et son rapport à la violence omniprésente, en écho à celle, banalisée pour ainsi dire, qui avait alors cours en Irlande du Nord. Soit le double testament magistral d’un auteur qu’un cancer devait emporter quelques mois plus tard, à l’âge de 55 ans. Vingt ans après, l’urgence de l’£uvre de Clarke ne s’est certes pas atténuée; c’est dire aussi l’intérêt de ce coffret qui, assorti d’un documentaire sur le réalisateur, et des commentaires pertinents de la critique Andrea Grunert, constitue une édition de référence. Incontournable.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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