SON ADMIRABLESELFISH GIANT RÉVÈLE PLEINEMENT LE GRAND TALENT DE LA RÉALISATRICE, ET SON HUMANISME FERVENT.

La transmission n’est pas un vain concept pour Clio Barnard, fille d’universitaire et elle-même enseignante à l’Université du Kent. Son premier long métrage de fiction, The Selfish Giant, témoigne d’un attachement singulier à une jeunesse en danger (lire la critique page 20), avec son très émouvant récit de la dérive de gamins en rupture d’école dans un coin misérable du Nord de l’Angleterre. Ce film aussi beau qu’âpre et traversé de fulgurances poétiques fait le bonheur des festivals internationaux depuis sa présentation à celui de Cannes (où il reçut le prix Europa Cinemas). Elu en octobre dernier meilleur film au Festival de Gand, The Selfish Giant est l’événement cinéphile de ce début d’année. Sa scénariste et réalisatrice en parle avec une conviction tranquille, une détermination que renforcent sa haute silhouette et une dégaine assez rock’n’roll.

« J’avais fait un documentaire intitulé The Arbor, explique la cinéaste, et durant sa préparation, en 2006, j’avais fait la connaissance d’un jeune garçon prénommé Matty. Il est ma première inspiration pour le personnage principal de The Selfish Giant, un personnage que j’ai prénommé… Arbor. J’avais passé beaucoup de temps à connaître Matty et son meilleur ami, sa passion pour les chevaux, son activité dans la récupération et la revente de ferraille, tous éléments qui se retrouvent dans le film. » L’aspiration de départ de Barnard étant de « raconter une histoire aussi simple et linéaire que possible« , et les notes prises en amont étant si abondamment fournies, « la majeure partie du travail d’écriture fut de réduire, d’élaguer, de couper tout ce qui n’était pas indispensable, essentiel« . D’une vague idée d’adaptation d’un court texte d’Oscar Wilde (un conte destiné aux enfants), le projet a vite évolué vers une approche des plus ouvertes, la réalisatrice organisant une série d’ateliers avec des adolescents du coin, « afin d’en apprendre plus sur leur vie« . Le travail se concentra progressivement sur un enfant, Conner Chapman, futur interprète principal du film. « Il a fallu créer pour lui un atelier hors du contexte scolaire, car il ne voulait pas remettre les pieds à l’école, qu’il avait quittée à la fin du primaire« , se souvient Clio Barnard. L’atelier fut déplacé dans une maison des jeunes, mais là non plus l’ado ne se sentait pas à l’aise et prit très vite la tangente. « Finalement, il fallut faire l’atelier… dans sa maison!« , sourit rétrospectivement la cinéaste qui ne voulait pas perdre un interprète dont elle avait immédiatement saisi le potentiel devant la caméra. Les confidences de la mère de Conner se révélant capitales, « car un garçon de son âge n’aime pas se confier, alors je complétais mes longues balades avec lui par de non moins longues conversations avec sa maman, et quelques autres avec leurs voisins« .

L’approche formelle de Barnard pour The Selfish Giant est « un choix délibéré d’arpenter la ligne un peu trouble et indistincte séparant la fiction de la réalité« . « Je ne sais pas si je crois fondamentalement au réalisme« , déclare celle qui voit « se dérouler en permanence un processus de transformation, une alchimie particulière à l’oeuvre entre le réel et la construction artistique qu’est un film. Que ce dernier soit une fiction ou un documentaire ne faisant pas de vraie différence sur ce point. »

Nombre de critiques relient, non sans raison, The Selfish Giant à la grande et belle tradition du réalisme social initié au tournant des années 60 et 70 par Ken Loach. Barnard reconnaît l’importance de cette « ligne » fructueuse, mais la critique quelque peu aussi « parce qu’elle repose au départ sur cette idée, à laquelle je ne crois pas vraiment, qu’il vous suffit d’acheter une caméra et de filmer la réalité pour obtenir quelque chose d’intéressant, d’authentique« . Et la cinéaste de s’avouer « en contradiction, car je critique une tradition dont j’aime et admire profondément certains réalisateurs qui en viennent, comme le Loach de Kes, bien sûr, ou Alan Clarke et Penny Woolcock« …

Blessures d’amour

« Mon film est aussi une réaction aux films que mes propres enfants vont voir au cinéma, toute cette production commerciale dont le réel est quasi totalement absent. Avant de tourner The Selfish Giant, j’ai regardé avec eux Le Voleur de bicyclette, Les Quatre-cents coups, Le Gamin au vélo, La Pomme (1),Kes bien sûr. Je crois que les gosses ont une capacité trop souvent ignorée à s’intéresser à des films offrant une représentation réaliste de leur âge. Et aussi à comprendre des choses, des sentiments complexes comme l’amour, la séparation, la perte. Toutes choses qui les prépareront à leur vie future. Oscar Wilde évoquait les blessures de l’amour en s’adressant à un public d’enfants. Chaque histoire d’amour est, potentiellement, aussi une histoire de douleur et de manque. The Selfish Giant est à sa manière une histoire d’amour, un amour platonique entre ces deux garçons en rupture…  »

Le film de Clio Barnard est de ceux qui font voir la beauté là où on l’attend le moins, comme par exemple dans ces rues déshéritées où circulent les jeunes héros, ou dans le dépôt/dépotoir du ferrailleur avec lequel ils fricotent. Elle a pu compter, en la personne du directeur de la photographie Mike Eley, d’un complice précieux. « Il possède une approche douce et chaleureuse qui se reflète dans l’image, dans ces paysages d’une région qu’il connaît bien. Nous avons fait une longue promenade sur la plage, avant le tournage, et nous nous sommes mis d’accord sur notre principe directeur: faire un film réaliste avec une petite et légère touche de cette magie qu’ont les contes de fées. Sans effet de style, sans rien souligner, sur la pointe des pieds… »

(1) LE FILM IRANIEN DE SAMIRA MAKHMALBAF.

TEXTE Louis Danvers

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