L’HUMORISTE AMÉRICAIN REVIENT AVEC LA QUATRIÈME SAISON DE SA FANTASTIQUE SÉRIE LOUIE. LOUIS CK, C’EST LA PHILOSOPHIE COMIQUE POUSSÉE À SON PAROXYSME. GÉNIAL.

Avec le recul, ce mail a quelque chose de touchant. Et d’un peu ridicule quand même. Mi-2012, dans l’enthousiasme fulgurant que nous avaient inspiré les trois premières saisons de Louie, nous avions envoyé un mot au manager de Louis Szekely, alias Louis CK, pour lui faire part d’un projet modeste, certes, mais plein de bonne volonté: l’organisation hypothétique d’un petit festival d’humour anglo-saxon, dans lequel son protégé aurait pu greffer son hilarante patte. Sans nouvelles de sa part, l’idée s’était perdue dans les limbes des fantasmes avortés. Etonnant? Pas vraiment. Quelques mois plus tard, devant nos yeux aussi ébahis qu’hilares, Louis CK se produisait à l’O2 de Londres. Face à 12 000 personnes. En fait, le mec est (un peu) une star. Et on voulait l’inviter à Leuven, devant 200 geeks (estimation généreuse d’époque). A notre décharge, personne ou presque ne connaissait Louis CK dans notre entourage. Sa série, toujours inédite en Belgique, n’a jusqu’ici jamais eu le don d’attirer nos chaînes. La faute au format peut-être. Des épisodes d’une petite vingtaine de minutes, écrits, réalisés, joués, produits et même montés par CK en personne depuis le 29 juin 2010. Une indépendance totale acquise de haute lutte avec la chaîne FX, émanation du très conservateur groupe Fox Entertainment et curieusement plus connue pour l’énorme dose de testostérone qu’elle a distillé via The Shield, Nip/Tuck, Sons of Anarchy ou Justified. Dans Louie, CK joue une version quasi biographique de lui-même, puisqu’il y campe un « stand-up comedian » réputé dans le milieu, divorcé, père de deux petites filles, proto-dépressif et masturbateur chronique à qui arrivent diverses aventures tragiquement banales ou complètement farfelues. A l’instar de son pote Jerry Seinfeld, qui apparaît d’ailleurs plusieurs fois dans Louie, CK parsème sa série de sketchs illustratifs qu’il interprète en situation réelle au Comedy Cellar de New York. « La vie est courte, y’a pas mal de gens qui aiment dire ça. La vie est courte… Et c’est vrai qu’elle est courte, si tu es un enfant qui vient de mourir. Mais à 46 ans, ce n’est plus si court… », lance-t-il devant un public conquis, dans le premier épisode de cette quatrième saison. Il embraye, quelques minutes plus tard. « La vie est longue en réalité, et puis ça s’arrête, et pas mal de gens se demandent ce qui se passe après. Que se passe-t-il après ma mort? C’est une question fondamentale pour l’être humain. Que se passe-t-il après ma mort? En réalité, y’a plein de choses qui se passent après ta mort. Sauf qu’aucune de ces choses ne te concernent désormais. Puisque tu n’es plus rien du tout. Mais y’a des tas de trucs qui se passent, le Superbowl tous les ans, etc. »

Comme François Pirette

Lucide, mais pas cynique, aussi grossier que possible mais pas vulgaire, CK s’affiche comme un philosophe comique absolument unique en son genre. Parce qu’il livre son intimité avec si peu de pudeur qu’elle éveille la réflexion chez ceux qui l’écoutent. Parce qu’il a suffisamment d’expérience pour tirer certaines conclusions sur la vie. Rares sont les comiques qui, dans l’Histoire, ont réussi à allier rires intelligents et franches poilades avec autant de maestria. « Ma fille de quatre ans est une vraie connasse (a fucking asshole)! Chaque fois que je veux partir de la maison, je lui dis: « Mets tes chaussures, mets tes chaussures, mets tes chaussures. » Combien de fois tu peux demander ça à quelqu’un avant d’avoir envie de lui mettre un pain dans la tronche? », se demandait-il en 2008, dans son spectacle Shameless. Les rapports humains, la paternité, la vie, la mort, tout ça. En 2011, CK démarrait son live au Beacon Theater par cette phrase: « On est 2500 ce soir dans la salle. C’est un bel échantillon de la population. On peut dire avec quasi-certitude que l’un d’entre vous va mourir dans les trois mois. Je ne sais pas encore lequel. Mais je peux vous dire que l’un d’entre vous va ruiner le Noël de sa famille. » Prends ça, Gad Elmaleh. Le public, averti et consentant, en redemande.

Né au Mexique il y a 46 ans, ancien auteur pour le Saturday Night Live ou le Chris Rock Show, Louis CK atteint enfin la consécration. Le magazine GQ, pourtant peu habitué à couronner des hommes si gras (« J’ai enfin le corps dont j’ai toujours rêvé. Et c’est pas compliqué. Il faut juste rêver d’avoir un corps merdique. ») et mal fagotés, vient de le mettre en couverture tandis que Télérama titrait récemment « Génie comique » en parlant de lui. Woody Allen l’a fait jouer dans Blue Jasmine, David O. Russell dans American Hustle. Chaque année, un peu comme François Pirette (la comparaison s’arrête là, et n’aurait jamais dû être amorcée), CK produit un spectacle complètement neuf. Et sa série commence doucement à faire parler d’elle hors des frontières étasuniennes. Bref, si vous ne le connaissez pas, ce n’est probablement qu’une question de temps. Une petite dernière, pour la route. « Ça fait cinq ans que je suis divorcé, et ça a sans aucun doute été la meilleure période de ma vie. Chaque année est mieux encore que la précédente. Par-là, je ne veux pas dire: ne vous mariez pas. Si vous rencontrez quelqu’un, tombez amoureux et mariez-vous. Et puis divorcez. Parce que c’est la meilleure partie. Le mariage est comme un état larvaire pour le vrai bonheur. Qui est le divorce. » Louis, c’est vraiment le numéro un.

TEXTE Guy Verstraeten

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