Cités de la peur

Membre de l’agence Magnum, le photographe brésilien Miguel Rio Branco publie Maldicidade, une bombe visuelle qui rassemble 40 années d’un travail entrepris sur plusieurs grandes villes.

New York, La Havane, Salvador de Bahia ou Tokyo… la ville et rien d’autre, tel est bien le coeur paroxystique du nouvel opus, qui paraît ce mois de juin chez Taschen, signé Miguel Rio Branco (1946). Depuis qu’il s’est converti à l’image, l’urbanité constitue la matière première de ce photographe de l’agence Magnum. Il est vrai qu’installé à Rio de Janeiro, le Brésilien s’y connaît en matière de concentration de population. Cette réalité est d’autant plus marquante pour l’intéressé qu’avec des parents diplomates, il n’a cessé d’arpenter le monde tout au long de sa jeunesse. Bref, une véritable fascination déroulée tout au long d’une vie. Pas question pour Rio Branco de donner dans la carte postale, la version édulcorée. À ses yeux, découvrir la ville n’a rien d’un citytrip où l’on enchaîne les musées, les temps forts architecturaux et les bars à cocktails. Là où les contemporains voient une réalité « trop cool à instagramer », le septuagénaire perçoit un monstre effrayant, une machine à digérer et à recracher de l’humain, comme si ce dernier n’était qu’un épiphénomène des assemblages de verre et de béton qui l’entourent. À travers ses clichés, l’expérience de la métropole donne à voir toute sa brutalité. Ici, c’est un chien mort que le trottoir expose à moitié séché. Là, c’est un sans-abri qui gît comme un soldat tombé au champ d’horreur. Ailleurs, une famille se serre les coudes en tentant d’opposer le lien du sang au destin de solitude qu’engendre l’inextricable assemblage de rues et d’avenues. Le tout se donne à travers des images méticuleusement cadrées qui font l’économie du contexte géographique, de la couleur locale. Du coup, pour le spectateur, il est toujours extrêmement difficile de dire où il se trouve. Le procédé est génial, immersif, il accouche d’une cité universelle qui raconte tous les périmètres urbains sans jamais en atténuer la charge par l’explication. Tremblez mortels, le « mal des villes » est à vos portes.

S'il y a bien un schème qui traverse l'oeuvre de Miguel Rio Branco, c'est celui de l'opposition formelle. Le photographe aime jouer avec les contrastes, notamment ceux de texture. Chez lui, le tissu côtoie régulièrement la tôle, la dentelle la plus fragile jouxte le métal le plus lourd... Bref, la fragilité se frotte à son autre. L'un de ses motifs favoris est celui de l'épave,  du pare-brise criblé de balles, allusion à la
S’il y a bien un schème qui traverse l’oeuvre de Miguel Rio Branco, c’est celui de l’opposition formelle. Le photographe aime jouer avec les contrastes, notamment ceux de texture. Chez lui, le tissu côtoie régulièrement la tôle, la dentelle la plus fragile jouxte le métal le plus lourd… Bref, la fragilité se frotte à son autre. L’un de ses motifs favoris est celui de l’épave, du pare-brise criblé de balles, allusion à la « vida loca » telle qu’elle prolifère en Amérique latine. Cette image en est l’exemple flagrant, qui dit la volonté de l’humain d’apprivoiser tout ce qui le nie.© 2019 Miguel Rio Branco

Maldicidade, Miguel Rio Branco et Paulo Herkenhoff, éditions Taschen, 464 pages (allemand, anglais, français, portugais), 60 euros.

Il est difficile de s'y retrouver géographiquement dans les images du membre de l'agence Magnum (une structure qu'il a rejointe en 1980). À première vue, on pourrait très bien être en Inde face à ce véhicule délabré. Un coup d'oeil plus attentif (les mentions
Il est difficile de s’y retrouver géographiquement dans les images du membre de l’agence Magnum (une structure qu’il a rejointe en 1980). À première vue, on pourrait très bien être en Inde face à ce véhicule délabré. Un coup d’oeil plus attentif (les mentions « Dodge » et « Tablada ») permet de réaliser que l’on est en Amérique du Sud. Ces convergences visuelles sont provoquées par la ville, qui presse les individus les uns contre les autres. Ce destin de promiscuité est le nôtre, il n’est plus possible d’y échapper.© 2019 Miguel Rio Branco
Miguel da Silva Paranhos do Rio Branco, de son nom complet, a beau poser son objectif dans les entrailles de la ville et donner à voir la laideur, il parvient toujours à en exhumer la beauté crue. Peintre de formation, il possède un sens inné de la couleur. On l'a souvent qualifié de
Miguel da Silva Paranhos do Rio Branco, de son nom complet, a beau poser son objectif dans les entrailles de la ville et donner à voir la laideur, il parvient toujours à en exhumer la beauté crue. Peintre de formation, il possède un sens inné de la couleur. On l’a souvent qualifié de « coloriste », ce qui fait sens quand on sait qu’il se sert des variations chromatiques pour insister sur la matière. Certains commentateurs pensent même que son goût du nuancier lui vient du métissage tel qu’il se découvre au Brésil, soit une gamme de peaux qui se déclinent du clair au noir.© 2019 Miguel Rio Branco
C'est au coeur des grandes villes que se marque de la manière la plus flagrante la guerre qui oppose les hommes les uns aux autres. Un conflit larvé dont on ne compte plus les victimes. Qu'advient-ils de ces perdants, de ces marginaux célestes? Ils finissent dans le caniveau, c'est devenu tristement banal. Rio Branco use du noir et blanc avec parcimonie. Ce cliché, qui hésite entre la douleur et la folie, rappelle l'engagement du Brésilien,  le même que celui prôné par Albert Londres:
C’est au coeur des grandes villes que se marque de la manière la plus flagrante la guerre qui oppose les hommes les uns aux autres. Un conflit larvé dont on ne compte plus les victimes. Qu’advient-ils de ces perdants, de ces marginaux célestes? Ils finissent dans le caniveau, c’est devenu tristement banal. Rio Branco use du noir et blanc avec parcimonie. Ce cliché, qui hésite entre la douleur et la folie, rappelle l’engagement du Brésilien, le même que celui prôné par Albert Londres: « Porter la plume dans la plaie ».© 2019 Miguel Rio Branco
Outre le fait qu'il retrace 40 ans de carrière, des oeuvres de jeunesse des années 70 à la maturité des images des années 2000, l'intérêt de la publication des éditions Taschen réside dans le choix d'un nouveau format plus lisible que l'original sorti au Brésil en 2014, chez Cosac Naify, mais épuisé depuis. C'est flagrant pour une photographie comme celle-ci dont le sujet est la dure réalité de la mort -que l'on devine en creux, dans le reflet du miroir- par-delà la flamboyance du décor et des artifices.
Outre le fait qu’il retrace 40 ans de carrière, des oeuvres de jeunesse des années 70 à la maturité des images des années 2000, l’intérêt de la publication des éditions Taschen réside dans le choix d’un nouveau format plus lisible que l’original sorti au Brésil en 2014, chez Cosac Naify, mais épuisé depuis. C’est flagrant pour une photographie comme celle-ci dont le sujet est la dure réalité de la mort -que l’on devine en creux, dans le reflet du miroir- par-delà la flamboyance du décor et des artifices.© 2019 Miguel Rio Branco

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