Le réalisateur exhume les images oubliées de L’enfer d’Henri-Georges Clouzot, pour livrer un documentaire fascinant, en prise sur un ailleurs cinématographique

Il est le premier à en convenir, alors qu’on le rencontre à Cannes, où son film est présenté en sélection officielle: entre Serge Bromberg, patron de Lobster Films depuis plus de 25 ans, et L’enfer, film inachevé d’Henri-Georges Clouzot, la rencontre était, pour ainsi dire, programmée. « A Lobster, nous restaurons des films, et je me suis fait une spécialité de la recherche de films perdus dans les caves et les greniers. Un jour où Patrick Brion, le patron du Cinéma de minuit, sur France 3, m’avait reparlé de l’histoire de L’enfer , je me suis dit qu’il y avait une analogie entre cette histoire et la mienne, qui est de faire repasser des films qui sont du côté de l’ombre vers la lumière. Et un peu comme un défi, je me suis dit que j’allais essayer de contacter madame Clouzot et la société d’assurances qui étaient chacune propriétaire d’une partie du film. »

L’enfer, de Clouzot, c’est un mythe de cinéma. Lorsqu’il se lance dans le tournage, en 1964, le réalisateur est au faîte de sa gloire. Bénéficiant d’un budget illimité, il décide de tourner son £uvre la plus audacieuse, ambitionnant de révolutionner la grammaire cinématographique. Pour l’aider dans cette entreprise, des techniciens de premier plan, et 2 comédiens illustres, Serge Reggiani, hôtelier rongé par la jalousie, et Romy Schneider, son épouse, d’une incandescente et fatale beauté. Après des préparatifs minutieux, l’équipe gagne le lac de Garabit, dans le Cantal, pour les tournages en extérieur. La pièce qui se joue aux pieds du viaduc vire rapidement à l’aigre: les retards et problèmes se multiplient. Et puis survient le drame, avec l’attaque cardiaque dont est victime Clouzot, envoyant le projet par le fond.

Traits de génie

Depuis, ce tournage maudit a alimenté la légende: « C’est une atlantide », comme le relève Bromberg qui, suite à un concours de circonstances peu banal, se voit bientôt investi de la confiance d’Inès Clouzot pour exhumer L’enfer. Soit 185 boîtes de films, privées de son, mais avec une force d’évocation peu commune. On y voit un Clouzot proprement visionnaire se livrer à des expériences cinétiques sans précédent. Non sans que Romy Schneider embrase l’écran de son ensorcelante présence. Images d’un ailleurs cinématographique, que le documentaire complète de témoignages des participants à l’aventure – « je me suis rendu compte que Costa-Gavras, Bernard Stora et d’autres, chacun avait vécu ce tournage d’une manière différente » – et des lectures du scénario par 2 comédiens, Bérénice Bejo et Jacques Gamblin.

Ainsi rendu à la lumière, L’enfer de Clouzot n’en finit pas de fasciner, projet à moult égards insensé, au point de dépasser son créateur. A travers cet Icare moderne, c’est aussi un questionnement lancinant sur les frontières entre génie et mégalomanie qu’instruit Serge Bromberg: « Cette question nous a taraudés dès le départ, et nous avons veillé à ne pas y donner de réponse. Elle est tellement belle, hypnotique, qu’elle rappelle la beauté de Romy Schneider. Ce n’est pas une question, c’est de l’art. Et l’art n’a pas de prix. »

u L’enfer d’Henri-Georges Clouzot (lire notre critique

en page 31), sortie le 10 mars. Présentation par Serge Bromberg le 15, à Flagey, Bruxelles.

u www.flagey.be

Jean-François Pluijgers

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